1894, Zola jouit du succès considérable de la série des Rougon-Macquart et s’apprête à être père de l’enfant conçu avec sa jeune maîtresse. L’affaire Dreyfus, du nom de ce jeune capitaine déclaré coupable d’espionnage, à la suite d’une enquête menée exclusivement à charge et envoyé au bagne par un tribunal militaire profondément antisémite, commence à diviser la France. Contre l’avis de son éditeur qui pense que dans cette affaire il n’y a que des coups à prendre, Zola va enquêter, écouter les preuves qu’on lui apporte et s’engager jusqu’à écrire son J’accuse, resté un des textes les plus célèbres de notre histoire. Dans le même temps Méliés, génial inventeur au service du cinéma naissant, s’engage lui aussi dans la dénonciation du mensonge d’État qu’est la condamnation de Dreyfus. Les troubles qui éclatent lors de la première représentation de son film conduisent à son interdiction. En dépit des rumeurs et des menaces, ces deux téméraires, soutenus par leurs femmes, s’engagent résolument au service de la vérité et de la justice.
L’engagement de Zola et la force de son J’accuse sont bien connus. Ce qui l’est moins c’est le film de Méliès sur le sujet, que l’on peut considérer comme l’ancêtre des actualités françaises. Julien Delpech et Alexandre Foulon ont réussi dans leur texte à mêler la gravité de l’engagement d’un Zola au sommet de sa carrière à l’inventivité d’un Méliès bricolant avec les moyens du bord la reconstitution de l’affaire dans un film de onze minutes ce qui était un exploit. Au cours de ce voyage dans l’histoire on croise bien des questions toujours d’actualité. Tout d’abord le racisme. Du « lorgnon sur son nez ethnique » dont parle Léon Daudet dans Le Figaro on peut rapprocher la méfiance d’aujourd’hui pour « la peau trop mate et les cheveux bouclés des maghrébins ». Mais aussi le rôle de la presse, celle nauséabonde qui multiplie les fausses informations ou ne s’intéresse qu’à des scoops et celle aussi qui est l’honneur des journalistes. C’est Clemenceau qui offrira la une de ce qui n’était encore qu’un petit journal, L’aurore, à la plume de Zola et se démènera pour en accroître de façon vertigineuse le tirage pour l’occasion. On peut aussi savoir gré aux deux auteurs d’avoir souligné le rôle des femmes dans cette affaire, leur engagement et leur courage.
La scénographie du spectacle s’articule autour d’un très grand meuble central qui devient bureau de Zola ou comptoir de café ou salle de cinéma ou piano. Au fond du plateau c’est le long d’une verrière avec ses arcatures métalliques, typique de l’architecture de cette fin de XIXème siècle, que s’introduisent les personnages dans une lumière tantôt sombre tantôt plus éclatante.
Charlotte Matzneff, qui a mis en scène la pièce, a imprimé un rythme qui ne faiblit pas à cette histoire. On passe avec fluidité du monde de Zola à celui de Méliès. Des moments de pure comédie, particulièrement sur le tournage du film de Méliès, alternent avec la gravité de cette histoire. En même temps sous le comique percent bien des aspects de ce qu’apportait de nouveau le génial créateur. Ainsi de l’idée qu’il fallait, bien que le cinéma fut encore muet, que les acteurs disent un vrai texte sous peine de ne pas être crédibles ou encore certaines idées pour le choix des acteurs. La metteuse en scène a su s’entourer de sept comédiens, qui jouent près de trente personnages. Romain Lagarde donne à Zola la tendresse de l’homme et l’engagement sans peur de l’écrivain qui s’engage quoi qu’il lui en coûte, Stéphane Dauch offre à Méliès sa fantaisie, son inventivité que rien n’arrête, Sandrine Seubille incarne Alexandrine Zola, passionnée qui n’hésite pas à rappeler à son mari infidèle tout ce qu’il lui doit en tant qu’auteur, mais le soutiendra toujours et saura se montrer exemplaire avec les enfants que son mari a eu avec Jeanne (Barbara Lamballais). Armance Galpin campe une Eugénie Méliès très drôle et toujours prête à s’adapter, voire à devancer, les idées de son innovateur de mari, manipulant avec autorité ce Jean (Thibault Sommain) apprenti comédien plein de bonne volonté mais pas très futé.
Cette histoire, que nous avons plus ou moins entendue au lycée, devient passionnante et trouve bien des échos dans notre actualité.
Micheline Rousselet
À partir du 7 septembre à la Comédie bastille, 5 rue Nicolas Appert, 75011 Paris – mercredi et vendredi à 19h, jeudi et samedi à 21h, dimanche à 17H – Réservations : 01 48 07 52 07 ou www.comedie-bastille.com
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