Une femme est debout dans la chaleur d’un 14 juillet devant la maison de son fils. Elle veut le voir pour lui emprunter de l’argent, ce qu’elle trouve normal. Les enfants ne sont-ils pas là pour cela ?Mais son fils refuse de sortir de la maison ou même de la laisser entrer. Ses deux belles-filles lui transmettent le message et lui interdisent le passage. Même le verre d’eau qu’elle réclame elle ne l’aura pas. La maison reste une forteresse imprenable.
On ne sait pas ce qui se passe dans la maison. Les dialogues entre Madame Diss et ses belles-filles ouvrent des gouffres de rancœurs, de frustrations, de peurs et d’angoisses. Conte fantastique, conte mythologique ou fait divers sordide, la pièce de Marie NDiaye relève de tous ces genres. D’une plume fine, précise, musicale, elle nous place dans la chaleur de l’été au milieu des maïs au seuil de cette maison qui semble emplie de maléfices. Ce dont nous parlent ces trois femmes nous semble familier, la dépendance affective, le désir de liberté, la maltraitance, l’abandon, la culpabilité. Mais l’autrice flirte vite avec l’inexplicable. On attend le feu d’artifice mais l’angoisse rôde avec les terreurs enfantines, la répulsion des serpents, l’enfant martyrisé et la peur de l’ogre tapi dans la maison prêt à dévorer ses enfants.
Jacques Vincey offre une mise en scène impressionnante à la pièce de Marie NDiaye. La scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy, baignée par les éclairages en clair-obscur de Marie-Christine Soma, crée un univers étouffant. Un énorme mur d’enceintes ferme le plateau bloquant quasiment les entrées et les sorties vers la maison. L’univers sonore crée par Alexandre Meyer a quelque chose de terrifiant : de derrière le mur proviennent des gémissements, des murmures indistincts et parfois surgit une voix effrayante d’homme criant le nom de sa femme. Tout concourt à créer un malaise, une peur diffuse où l’imagination du spectateur galope vers l’angoisse.
Jacques Vincey s’est surtout entouré de trois actrices exceptionnelles. Hélène Alexandridis est Madame Diss. Hautaine, méprisante envers France sa seconde belle-fille et en même temps pitoyable en femme acculée venant mendier de l’argent auprès de son fils, négociant avec âpreté les informations qu’elle fournit, avec un sadisme certain, à Nancy sa première belle-fille, et finissant par sombrer, elle donne toute sa complexité au personnage. Tiphaine Raffier donne à France, la seconde épouse, un côté enfantin, de petite fille peu sûre d’elle, apeurée, supportant le dédain de Madame Diss puis tentant de reprendre la main. Bénédicte Cerutti enfin est Nancy, élégante mais mère brisée, qui semble avoir pu fuir la peur mais s’y enferme à nouveau. Toutes trois nous plongent brutalement dans cet univers d’autant plus angoissant qu’il semble familier.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 23 avril au Théâtre des Quartiers d’Ivry, 1 place Pierre Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine – à 20h30, le 23 à 18h – Réservations : 01 43 90 49 49 – En tournée ensuite
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