Au cœur de notre panthéon de la littérature américaine, le roman de John Steinbeck trouve enfin une place sur la scène parisienne. On y suit une famille de métayers, les Joad, chassés de leur terre en raison de la sécheresse et du Dust Bowl, qui ravage les plaines de l’Oklahoma, mais surtout de la rapacité des banques et des grands propriétaires à la suite de la crise de 1929. Comme eux des millions d’Américains, rassemblant leurs derniers dollars, se jettent sur les routes entassant leurs maigres biens sur des camions branlants, en direction de la Californie où tout pousse et où les attendent, leur disent les prospectus abondamment distribués, des emplois de cueilleurs bien payés. Acculée par les banques, pourchassée par la police des États traversés qui les traitent de « Okies », la famille poursuit son chemin malgré les histoires, entendues dans les camps de fortune le long de la route, de ceux qui reviennent de Californie et leur disent que les promesses ne sont pas tenues. Certains se perdent en cours de route mais ceux qui parviennent en Californie n’y trouveront que l’exploitation par des propriétaires qui profitent de leur afflux pour baisser les salaires, les entassent dans des camps, les « Hoovervilles », d’où la haine les chassera à nouveau.

Xavier Simonin a travaillé trois ans sur ce projet, réussissant à convaincre les ayants-droits de Steinbeck qui avaient refusé tout projet d’adaptation depuis le film de John Ford de 1940. Avec Jean-Jacques Milteau, l’harmoniciste célèbre, avec qui il avait déjà signé en 2011 une très belle adaptation de L’or de Blaise Cendrars, ils proposent une adaptation du chef d’œuvre de Steinbeck en respectant son phrasé et son oralité à l’authenticité bouleversante. On y suit l’histoire de la famille Joad mais aussi les idées de Steinbeck, condamnant la rapacité et la violence des plus riches et plaidant avec force pour un monde plus solidaire et plus juste.

Xavier Simonin, jean, blouson, casquette sur la tête est le narrateur qui décrit le désastre écologique, le voyage aux multiples accidents, les rêves et les désillusions cruelles. Il devient aussi les personnages Tom Joad ou le pasteur, si humain mais un peu trop porté sur les filles, Ma ou les gens rencontrés au long de la route, qui dialoguent, s’interpellent ou s’interrogent. Autour de lui trois musiciens vont éclairer, avec une musique héritière des chansons de Woody Guthrie et Pete Seeger, le tragique destin des Joad tout au long de la mythique Route 66. Claire Nivard (en alternance avec Mary Reynaud) a composé avec le guitariste et joueur de banjo Glen Arzel (en alternance avec Manu Bertrand) des balades qu’elle accompagne à la guitare, chantant en anglais d’une voix claire qui rappelle les grandes voix des protest songs américaines. Stephen Harrison (en alternance avec Sylvain Dubrez) complète le trio à la contrebasse. Les musiciens ne se contentent pas de jouer de leur instrument et de chanter, ils participent à l’action, se regroupent autour du narrateur, leurs visages portent les émotions qui les animent.

Cette adaptation arrive à point nommé à l’heure de la croisade de Trump contre les immigrés et au-delà contre les pauvres. L’appel de Steinbeck, qui fut Prix Nobel de littérature, à plus de justice et de solidarité est porté ainsi avec grandeur et émotion.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 8 février 2026 au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris – du mercredi au samedi à 18h30, le dimanche à 15h – Réservations : www.lucernaire.fr ou 01 45 44 57 34

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