Deux petites voix chuchotent dans le noir. Vu le titre de la pièce, on pense à deux fillettes se faisant des confidences dans l’obscurité de leur chambre. Mais quand la lumière s’allume, il y a sur la scène des femmes en blouses bleues. On pense à un orphelinat ou à une prison, mais une prison autogérée. Que signifient ces injonctions : rester unies, parler d’une seule voix, ne pas se singulariser sous peine d’être punies ? Qu’est-ce que « cette journée des visiteurs » à laquelle elles semblent se préparer ? Pourquoi ces punitions infantiles auxquelles on les soumet ? L’autrice, Marion Pellissier, semble vouloir nous égarer. Elle dit, dans sa note d’intention, que ces femmes participent à un jeu télévisé. Cela ne nous a pas effleuré et paraît comme une faiblesse pour la pièce. C’est dommage car ce qui est intéressant dans le spectacle, c’est justement que l’on ne sait pas.

Ce qu’on voit ce sont des femmes, qui paraissent s’être donné des règles, qu’elles transgressent parfois. Elles semblent avoir confié à certaines des rôles, diriger ou être celle qui est fragile, punir ou être punie. On sent que cette vie collective ne doit pas être facile. On perçoit leur envie d’être appréciée, de donner d’elles une bonne image, les désirs qu’elles n’osent pas assumer, leur peur aussi et leur violence qui éclate parfois. Elles ne maîtrisent pas toujours les mots, déformant des expressions connues, ce qui nuit justement à l’image d’elles qu’elles veulent donner ! Marion Pellissier précise ainsi son projet : « Je voudrais sonder le comportement de ceux qui se savent observés, interroger ce que nous savons de nous-mêmes, ce qu’on s’impose d’être face au groupe … Est-ce que tenter d’être celui que l’autre veut que je sois n’est pas déjà un échec ? Quelle est la meilleure arme dans la guerre du paraître ? »

La mise en scène crée trois espaces : l’avant-scène où, à tour de rôle et comme en cachette, les six jeunes femmes viennent révéler des choses sur elles, au fond une sorte de cuisine que l’on ne fait qu’entrapercevoir et à côté un espace créé par la vidéo qui permet de voir ce qui ne doit pas être vu. Là, derrière des parois vitrées et dans un espace nocturne, les filles, comme libérées du regard des visiteurs (le public dans la salle) révèlent leur intimité, parlent librement, jouent aux cartes, détendent leur corps et règlent des comptes. Le passage du réel à la vidéo est virtuose. L’actrice sort remplacée par son image dans l’espace virtuel, comme si elle était simplement passée de l’autre côté de la vitre.

Marion Pellissier dit avoir écrit pour les actrices, pour qu’elles aient leurs mots, des mots qui cernent leur personnalité. Toutes (Charlotte Daguet en alternance avec Carole Costantini, Jessica Jargot, Zoé Fauconnet, Julie Méjean, Savannah Rol, Marie Vire) sont justes, fragiles ou violentes, autoritaires ou soumises, écartelées entre leur désir d’être elles-mêmes et la pression pour se conformer à l’image qu’elles pensent que l’on attend d’elles. Elles renvoient les spectateurs à une position de voyeur ainsi que l’avait voulu l’autrice et metteuse en scène. C’est à la fois vertigineux et inquiétant.

Micheline Rousselet

Spectacle vu dans une séance réservée aux professionnels au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine – En tournée ensuite – 30 novembre au 7 décembre Le Hangar Théâtre à Montpellier – le 9 décembre à la Scène Nationale de Narbonne

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