La pièce de Jean Genet fut publiée en 1961, mais il avait commencé à l’écrire dès 1956 alors qu’on ne parlait pas encore de guerre mais seulement des « événements d’Algérie ». Lorsqu’elle fut jouée pour la première fois à l’Odéon en 1966 dans une mise en scène de Roger Blin elle fut, en dépit du soutien d’André Malraux, l’objet de manifestations violentes de la part de la droite qui y voyait une ridiculisation de la colonisation et de l’armée françaises.

Ce n’est pourtant pas une pièce sur la guerre d’Algérie mais une suite de scènes qu’il ne faut pas chercher à comprendre une par une. La pièce n’est pas narrative mais polyphonique, à la fois tragique et flamboyante. Les acteurs ne se parlent pas, ils profèrent leur texte. Subversive, la pièce malmène les colons européens et l’armée, mais n’est pas tendre avec les fellagas. Le bordel et la guerre se côtoient et c’est dans la mort que tous se rejoignent et tentent de dialoguer. Il faut se laisser porter par cette langue poétique, lyrique, baroque que l’on pourrait presque dire claudélienne mais un Claudel qui dessinerait une épopée sulfureuse et dérangeante donnant la vedette aux non-héros, aux mauvais.

Arthur Nauzyciel a réduit la pièce à quatre heures, alors qu’elle en dure près de huit. Si la pièce se déroule en Algérie dans le cadre de la guerre, « ce n’est pas une pièce sur la guerre…C’est une fresque épique en dehors de toute morale et bienséance qui déjoue et affecte nos codes et nos attentes » dit-il. Ayant trouvé par hasard des lettres écrites par un de ses cousins entre 1957 à 1959 alors qu’il était jeune médecin militaire en Algérie, il les lui fait les lire à l’écran juste après l’entracte. Elles nous ramènent à cette guerre que dès cette époque certains considéraient comme déjà perdue et font comme un écho à Genet.

Le plateau est occupé par un immense escalier blanc très vertical qui descend vers la salle. Les marches sont hautes rendant les ascensions difficiles et les descentes inévitables. C’est aussi une image du pouvoir de la colonisation ou un mausolée abritant tous ces morts. Et au final morts et vivants entament une lente ascension de cet escalier en haut duquel ils semblent basculer dans le vide se rejoignant ainsi dans la mort.

Au centre la famille des Orties, une famille de voleurs, avec le fils Saïd (Aymen Bouchou, sorte de vagabond céleste), héros pour les uns traître pour les autres puisqu’envisageant de partir en France pour échapper à la misère. Solidaire de personne, il cherche seulement à vivre. Sa pauvreté l’a contraint à épouser celle que tous considèrent comme la plus laide au point qu’elle cache son visage sous une cagoule (douloureuse Hinda Abdelaoui). La mère enfin, sorte de sorcière shakespearienne vêtue de dentelle noire vomit ses descendants ou les défend (magnifique Marie-Sophie Ferdane). À leurs côtés surgissent des colons, seulement préoccupés par leurs oliviers, leurs chênes-lièges et leurs roses, insupportables d’arrogance et de stupidité, des putains, sortes de prêtresses recueillant les troubles des uns et des autres, des soldats paumés et leurs officiers tentant de cacher leur égarement sous une détermination tapageuse soit près d’une quarantaine de personnages.

Alors que Patrice Chéreau dans sa mise en scène de 1983 avait choisi de séparer les personnages, les Arabes sur scène et les Européens dans la salle, ce que récusait Jean Genet qui ne voulait pas d’interprètes arabes pour ne pas coller au réel, Arthur Nauzyciel réunit seize acteurs qui jouent chacun plusieurs rôles, indifféremment des colons ou des Arabes quelles que soient leurs origine véritables. La troupe donne à la pièce sa passion, sa sensualité et sa flamboyance. Elle nous fait redécouvrir ce qu’avait de novateur cette déflagration poétique que sont Les paravents.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 19 juin à l’Odéon-théâtre de l’Europe, Place de l’Odéon, 75006 Paris – du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h – Réservations : 01 44 85 40 40 ou www.theatre-odeon.eu

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