En 2017, Garance Rivoal, autrice et metteuse en scène, a fondé la Compagnie Plateau K avec Alice May, la comédienne. En 2018, elle a passé un mois en tant que travailleuse bénévole au CAES (Centre d’Accueil et d’Évaluation des situations) de Nanterre. Elle pensait alors se documenter pour écrire un spectacle sur les personnes exilées. Elle a à cette occasion tenu un journal de bord restituant les récits et anecdotes que lui racontaient les usager-e.s mais aussi ses propres questionnements et ses états d’âme. Un podcast réalisé par Karine Le Loët et par Arnaud Aubry pour Les Pieds sur terre sur France Culture a été l’élément déclencheur du spectacle.

Dans un décor épuré (un ordinateur sur une petite table et une chaise), Alice May, seule en scène, est Diane, la travailleuse sociale qui doit évaluer la situation des mineurs étrangers et leur âge. On la suit dans sa série d’entretiens avec des personnes très différentes (mineurs étrangers, sa cheffe de service, le gardien du centre, les professeurs de français langue étrangère…) que l’on entend en voix off. On la voit rapidement débordée, déstabilisée, se posant de multiples questions. Quelle légitimité a-t-elle pour décider ainsi de l’âge des mineurs ? Que doit-elle faire face à sa cheffe qui lui intime l’ordre de faire en sorte qu’il y ait moins de jeunes reconnus mineurs ? Quelle position doit-elle adopter face à ces jeunes ? Comment se comporter face à cette femme sans abri qui réclame un hébergement ? Cette pression constante, ces injonctions contradictoires de ses supérieurs révèlent l’absurdité qu’il y a à travailler pour un système qui contribue à fabriquer les conditions de la précarité et la conduisent jusqu’au burn-out.

Assistée à la mise en scène par Louise Portais et Emmy Oussais, Garance Rivoal a bien mis en valeur la solitude du travailleur social. Diane est seule sur scène, éclairée par Antonin Subileau alors que ses interlocuteurs sont plongés dans le noir, un vide qui est laissé à l’imaginaire des spectateurs. L’enchaînement rapide des entretiens avec un passage systématique au noir entre chaque scène nous projette dans l’engrenage qui broie Diane, incapable de prendre du recul face aux événements. Mais quel est l’intérêt de multiplier les changements de place de la table et de la chaise entre chaque scène ?

Garance Rivoal et Alice May nous présentent un spectacle très intéressant qui met en lumière les injonctions contradictoires des pouvoirs publics quant à la prise en charge des mineurs isolés ainsi que la souffrance professionnelle et psychologique des travailleurs sociaux. Il est dommage que le spectacle ne se contente pas de creuser ce thème mais veuille aussi montrer les difficultés administratives rencontrées par une femme célibataire qui veut adopter un enfant et les réseaux illégaux d’adoption. Resserrer la pièce autour de cet unique thème lui donnerait encore plus de force.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 31 octobre, les lundis et mardis à 19h15, le dimanche à 20h au Théâtre de Belleville, 16 Passage Piver, Paris 11ème – Réservations : 01 48 06 72 34 ou theatredebelleville.com

– du 9 au 10 novembre au Théâtre Claude Chabrol à Angers

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