Inutile de présenter l’intrigue très longue et trop connue des Misérables. Occupons-nous alors d’en repenser le concept et ainsi de donner sens à cette adaptation aussi osée que réussie. Quand Victor Hugo intitule son épopée sociale Les Misérables, il ne fait pas que reprendre une expression courante désignant une conduite humaine faite de pauvreté et de vice, il retravaille le concept dans un souci de vérité et d’éthique sociale : le misérable combine infortune et infamie certes, mais Hugo entend briser la fatalité induite dans le jugement moraliste, sournoisement teinté de mépris social. En effet, l’œuvre affirme la contingence de cette articulation : l’infortuné ne devient pas nécessairement un infâme, il peut se sauver ou s’insurger ! La double démonstration s’appelle d’un côté Jean Valjean qui conquiert une rédemption sociale, de l’autre Marius qui choisit la révolte.

C’est, certainement inspirés par ce plan conceptuel immanent au texte hugolien que Chloé Bonifay et Lazare Herson-Macarel ont avec audace et intelligence adapté le roman-monument. Cette dimension conceptuelle et donc atemporelle justifie déjà l’opération, mais il faut y ajouter notre situation politique et sociale marquée par un quinquennat qui a réactualisé, si l’on peut dire, en plein XXIème siècle les causes économiques et idéologiques de la « misère » du XIXème ! Non, la théorie libérale du « ruissellement » ne permet pas aux Gavroches d’aujourd’hui d’échapper au ruisseau… Paupérisation de masse, et incivilités ou dérives délinquantes en hausse… Sans oublier le retour de l’insurrection et des barricades avec le mouvement des Gilets jaunes qui hante bien sûr la réception du spectacle par le public, mais que la mise en scène a eu la pudeur de ne pas faire figurer. « Jean-Jacques ce tison, Voltaire ce flambeau » chantait Hugo dans La Légende des siècles. C’est encore un refrain d’aujourd’hui, en y ajoutant bien d’autres figures…

Adaptation justifiée donc, mais il fallait encore trouver les moyens de s’en sortir avec un texte de 1500 pages. C’est là qu’il faut saluer le travail de Lazare Herson-Macarel qui a signé la mise en scène, car les personnages si essentiels que sont Jean Valjean, l’évêque de Digne, les Thénardier, Javert, Enjolras, Cosette, Marius, Fantine, Gavroche bien sûr et d’autres encore, sont fort bien convoqués et transposés dans notre actualité. Les épisodes emblématiques du roman sont également là, adaptés et présentés en tableaux plus ou moins courts, mais toujours vivants, situés dans une chronologie en flash-back indiquée en surtitres.

Mise en scène et scénographie filent la métaphore de l’éruption volcanique… Dans un décor sombre, le jeu des comédiens est d’abord triste et sourd, plombé par la condition malheureuse des protagonistes, mais au fur et à mesure que les entrailles de histoire bouillonnent, que le destin change de face sous l’action des personnages, la troupe s’anime sur scène, les lumières se font plus vives, les sons plus disco et c’est dans un enthousiasme joyeux, explosif et fou que le collectif en grève d’un hôpital psychiatrique donne corps à l’esprit de combat qui habitait tant Hugo : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent (…) Ceux dont le cœur est bon, ceux dont les jours sont pleins.» disait le poète dans Les Châtiments et cela résonne sur scène.

Allez vivre cette tempête qui sort de son crâne et vibrer avec les plus jamais misérablesde La Compagnie de la jeunesse aimable, Éric Herson-Macarel, Céline Chéenne, Abbes Zahmani, Émilien Diard-Deteuf, Claire Sermone, David Guez, Philippe Canales et Karine Pédurand.

Jean-Pierre Haddad

Jusqu’au 25 novembre, au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie , Route du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris. Infos et réservations 01 43 28 36 36 ou www.la-tempete.fr – Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h.

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