
Elles arrivent en courant sur le miroir d’eau qui couvre la scène, légères, jouant au ballon avec leurs robes longues, s’aspergeant en riant. Elles, ce sont les jeunes filles de l’Afghan Theater Group qui, après avoir fui l’Afghanistan, s’est installé dans la métropole lyonnaise en 2021, accueilli par Joris Mathieu directeur du CDN de Lyon et Jean Bellorini, directeur du TNP de Villeurbanne. Après un travail sur leurs souvenirs avec Alice Carré et sur divers textes avec Jean Bellorini, le choix de jouer Antigone s’est imposé comme une évidence. Antigone est la jeune femme qui refuse l’injustice et ne veut pas laisser le cadavre de son frère Polynice, qui a déplu au tyran, laissé en pâture aux chiens. Elle a l’audace de dire non, de se dresser face au tyran et le paiera de sa condamnation à être emmurée vivante. Cette histoire résonne avec la leur et elles espèrent un jour être les messagères d’une histoire qui parle de liberté et de lutte contre les injustices en particulier celles faites aux femmes condamnées au silence et à l’invisibilité.
La mise en scène de Jean Bellorini est magnifique. Les vaguelettes créées par les pas des jeunes femmes dans le lac qui couvre le sol se reflètent en miroitant sur le fond du plateau. Une grande lune, comme un œil spectaculaire et poétique, suspendu au-dessus d’elles apporte sa présence mystérieuse se transformant en astre d’or à la fin. Les lumières et la musique apportent une poésie et une profondeur tragique à la pièce.
Tout au long de la représentation les comédiennes apparaissent comme un chœur. Si elles sont presque toujours toutes ensemble sur le plateau, comme le chœur antique, elles ont leur diversité et leur complexité. A tour de rôle elles se distinguent. Leurs voix s’élèvent portant le texte en dari surtitré en français. Antigone apparaît déterminée, elle a choisi, elle refuse d’obéir au tyran qui a condamné son frère à voir sa dépouille abandonnée aux chiens. Ismène, plus jeune, n’ose pas s’opposer à la décision d’un homme, le Prince qui plus est. Créon apparaît vêtu d’un manteau d’or mais sur sa tête la couronne est bien petite témoignant d’un pouvoir moins absolu qu’il ne le croit. Le garde, qui doit annoncer à Créon que quelqu’un a réussi à inhumer Polynice, apparaît malin et insolent comme un valet de comédie. Hémon, le fils de Créon, tout comme Tiresias, le devin, tentent sans succès de raisonner le tyran en lui montrant les limites de son pouvoir.
Toute la pièce fait écho à la situation afghane avec cette tyrannie qui étouffe toute liberté au premier rang desquelles celle des femmes condamnées à être emmurées puisque désormais outre toutes les interdictions qui les frappent s’est ajoutée l’obligation d’occulter les fenêtres de leurs maisons.
Mais nous disent les messagères, « si les Antigones ont été tuées à cause de leur trop grande audace, les Ismènes sont toujours vivantes espérant chanter le chant de la liberté et voir leurs rêves exister ». Elles sont magnifiques.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 13 avril au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, 75010 Paris – du mardi au samedi à 20h, les dimanches à 15h – Réservations : 01 46 07 34 50 ou www.bouffesdunord.com
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