Une adaptation magistrale et sulfureuse du chef d’œuvre de Choderlos de Laclos
Considérant que les lettres, dont est constitué le roman, formaient un formidable point de départ pour le théâtre, Arnaud Denis leur offre une scène. Tranchant quelques épisodes qui ne sont pas indispensables pour révéler toute la noirceur de la Marquise de Merteuil, il garde tout le côté sulfureux du livre. La Marquise propose à son ancien amant le Vicomte de Valmont, un pacte diabolique. S’il veut la reconquérir, il doit la venger d’un ancien amant qui l’a autrefois abandonnée en dépucelant, dévergondant, voire engrossant la jeune oie blanche que celui-ci s’apprête à épouser, Cécile de Volanges. En échange Valmont exige qu’elle abandonne son jeune amant, Danceny, qui se trouve être aussi l’amoureux de Cécile. Par ailleurs Valmont veut aussi séduire une jeune veuve prude, Madame de Tourvel, dont se plaît à se moquer la Marquise de Merteuil. Valmont et Merteuil s’aiment peut-être, mais aucun ne peut l’avouer et de leurs intrigues monstrueuses ne naîtront que le malheur et la mort.
Fidèle à la finesse et la préciosité de cette langue du XVIIIème siècle, Arnaud Denis se contente de la moderniser discrètement et en respecte les moments forts. Le « c’est pas ma faute », que Merteuil impose à Valmont de dire pour quitter Madame de Tourvel et lui signifier qu’il commence à s’ennuyer avec elle, ou le « c’est la guerre », que la marquise oppose à un Valmont qui se rebelle, sont dans le texte. La phrase de Merteuil « je suis née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre », qui fait réagir un public pensant à #MeToo, se trouve presque mot pour mot chez Choderlos de Laclos ! La même finesse préside à l’évocation des scènes de sexe, Madame de Merteuil troussant sa robe pour accueillir dans sa bergère son jeune amant ou le Vicomte de Valmont s’installant dans le lit de Cécile de Volanges pour la contraindre ou dans celui de Madame de Tourvel qu’il a fini par séduire à force de mensonges.
Une introduction avec la sarabande de Haendel, une robe bleue, qui passe rapidement entre des silhouettes noires de nonnes, celles du couvent d’où sort Cécile, puis Merteuil et Valmont en perruques et costumes XVIIIème que leurs valets finissent d’habiller et de parfumer, le contexte est posé. Bergères et coiffeuse Louis XVI, escalier qui descend des cintres, costumes d’époque et superbes éclairages de Denis Koransky offrent un décor somptueux à la monstruosité et à la cruauté de ces libertins désœuvrés, prêts à tout pour fuir l’ennui.
Arnaud Denis a su s’entourer d’une distribution remarquable. Delphine Depardieu incarne une Marquise de Merteuil perverse, machiavélique, dominatrice et dure, se servant de Valmont comme de Danceny pour accomplir sa vengeance, piétinant au passage Cécile de Volanges et Madame de Tourvel. Valentin de Carbonnières a le charme et l’élégance d’un Valmont, parfait séducteur sans foi ni loi qui découvre, mais un peu tard, qu’il s’est laissé manipuler par plus fort que lui. Salomé Villiers est parfaite en veuve confite en dévotion qui, trompée par les mensonges de Valmont, se transforme en amoureuse passionnée et ne survivra pas à son abandon. Marjorie Dubus incarne une Cécile tout juste sortie du couvent, naïve, sautillant comme une enfant et riant de ce que lui dit la Marquise qu’elle croit être son amie, et se laissant piéger par les mensonges de son séducteur. Le reste de la distribution est tout aussi remarquable, Pierre Devaux en Danceny, Michèle André en chaperonne qui répète que son neveu est un fripon mais ne voit rien à ce qu’il trame, et Guillaume de Saint Sernin en valet.
La plus belle réussite de la rentrée.
Micheline Rousselet
À partir du 20 septembre à la Comédie des Champs-Elysées, 15 avenue Montaigne, 75008 Paris – du mercredi au samedi à 21h, le dimanche à 16h – Réservations : 01 53 23 99 19
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