Présentée en 1949, la pièce de Camus peut se lire comme une réponse aux Mains sales de Jean-Paul Sartre et interroge sur la légitimité du crime à des fins politiques. S’appuyant sur des faits historiques, Camus met en scène quatre terroristes du Parti Socialiste Révolutionnaire qui préparent un attentat contre le Grand-Duc Serge à Moscou en 1905. Deux conceptions s’affrontent, celle de Stepan, marqué par son expérience du bagne, dépourvu de toute empathie, pour qui l’action révolutionnaire ne doit pas connaître de limites (ce serait un peu la position de Sartre) et celle de Kaliayev, le poète amoureux de la vie partisan de la révolution mais qui s’interroge à l’idée de semer la mort en ajoutant, au nom de ses idéaux, de l’injustice à l’injustice. À leurs côtés, Boris Annenkov le leader du groupe, qui s’efforce de maintenir la cohésion du groupe pour s’assurer que l’attentat aura bien lieu, et Dora la seule femme du groupe, l’artificière, sensible et attentive, amoureuse de Kaliayev.

Maxime d’Aboville a adapté et mis en scène le texte de Camus, à la demande des comédiens de la Compagnie Les fautes de Frappe qu’il avait souvent eus comme élèves. Il a raccourci la pièce lui évitant d’apparaître trop bavarde, ce qui lui avait parfois été reproché. La distribution est réduite à trois comédiens et une comédienne, jouant parfois deux personnages au tempérament opposé, ce qui est le cas par exemple de Arthur Cachia qui interprète à la fois Stepan et le directeur de la prison qui propose à Kaliayev d’être gracié s’il accepte de dénoncer ses camarades ou de Marie Wauquier qui interprète à la fois le rôle de Dora et celui de la Grande-Duchesse qui vient proposer à Kaliayev de se repentir pour accéder à la grâce divine.

Pour tout décor une toile peinte évoquant une sorte de rideau de fer rouillé semble fermer le lieu de réunion des terroristes, ou la prison où est enfermé Kaliayev après son arrestation. La tension dramatique est accentuée par le travail sur les lumières et surtout la création sonore de Jason del Campo. La lumière fait sortir de l’ombre les visages de Boris et de Stepan anxieux qui attendent le bruit de l’explosion, on entend le pas des chevaux qui tirent la calèche ou le bruit d’une cloche et la musique accompagne l’attente inquiète.

L’intransigeance et la dureté de Stepan interprété par Arthur Cachia s’oppose à la ferveur idéaliste de Kaliayev interprété par Oscar Voisin. Étienne Menard a le calme du chef du groupe, Boris Annenkov, et le cynisme froid du prisonnier Foka, totalement étranger aux aspirations révolutionnaires. Marie Wauquier campe une Dora douce et pourtant prête à prendre la relève après la mort de Kaliayev.

Les questions posées par Camus (jusqu’où peut-on aller pour défendre un idéal, doit-on accepter de sacrifier sa vie, de tuer pour une éventuelle société meilleure), si elles ne se posent plus tout à fait dans les mêmes termes qu’à l’époque où il écrivit la pièce, gardent leur force morale et sont ici très bien incarnées.

Micheline Rousselet

À partir du 2 septembre au Théâtre de Poche Montparnasse, 75 bd du Montparnasse, 75006 Paris – Du mardi au samedi à 19h, dimanche à 15h – Réservations : 01 45 44 50 21 ou www.theatredepoche-montparnasse.com

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