En lettres blanches sur un écran noir s’affichent les mots du poète Ezra Pound « Ce que tu aimes bien est ton véritable héritage ». C’est sur la trace de ceux qui ont inspiré son désir de création qu’est parti Christophe Honoré. Il a eu vingt ans en 1990, l’année où est mort le chorégraphe Dominique Bagouet dont le ballet, Jours étranges, le bouleversa quand il le vit en 1993, trois ans après la mort du chorégraphe victime du sida. C’est sur la trace de ces créateurs qu’il admirait et qui sont morts trop tôt, fauchés par le sida à la fin des années 80 et au tout début des années 90, que nous entraîne Christophe Honoré : l’écrivain, acteur, musicien et réalisateur Cyril Collard, le critique de cinéma Serge Daney, le cinéaste Jacques Demy, l’écrivain Hervé Guibert, le dramaturge Bernard-Marie Koltès et le metteur en scène et dramaturge Jean-Luc Lagarce, tous morts du sida.
Dans un lieu indéterminé et gris, où les lumières peuvent évoquer tantôt un lieu de drague un peu glauque, rappelant Les nuits fauves de Cyril Collard, tantôt un univers plus brillant façon Demoiselles de Rochefort , Christophe Honoré va rappeler leur souvenir, à travers des citations mais aussi dans les mots qu’ils auraient pu dire. Cherchant ce qu’il reste d’eux en lui, il les fait discuter, argumenter, disputer mais aussi chanter et danser. Il y a des mots crus, des provocations, on y parle de la mort, de la ruine des corps dévastés par le sida, du silence et de la peur qui entourait cette maladie inconnue (terrible évocation de la mort de Michel Foucault). Mais il y a aussi de l’humour, un appétit de vivre, du désir et de l’amour.
Certains parlaient de leur maladie, Daney, Koltès ou Lagarce, voire en faisaient œuvre, Guibert ou Collard, d’autres l’ont cachée comme Jacques Demy, dont la cause de la mort par le sida ne fut révélé qu’en 2008 par sa compagne Agnès Varda. Tous parlent de la difficulté à en parler comme de la difficulté à ne pas le dire.
Pour les incarner Christophe Honoré a choisi aussi bien des hommes que des femmes et c’est d’autant plus émouvant. Ainsi Marina Fois donne de la gravité à Hervé Guibert, parlant du « souci de mourir ». Julien Honoré fait passer toute la douleur de Jean-Luc Lagarce face à la mort et à la séparation d’avec son amant. Pour d’autres le metteur en scène choisit de pointer leur côté flamboyant comme dans le cas de Cyril Collard (superbe Harrison Arévalo), toujours dans le désir et la provocation. Parfois il lâche la bride à l’imaginaire comme dans cette scène où il imagine Koltès (Youssouf Abi-Ayad) tentant devant la caméra tenue par Cyril Collard de draguer Travolta et finalement décidant de danser lui-même, ou lorsqu’il imagine Cyril Collard recevant son César pour Les nuits fauves , alors qu’il était mort trois jours avant. On change de ton rapidement passant du rire aux larmes. Ainsi Jean-Charles Clichet est un Serge Daney drôle, quand il s’efforce de traduire l’éloge de Rock Hudson déjà dit à moitié en français, et, dans la minute qui suit, tragique, quand il chante I should be so lucky tout en constatant que lui n’a pas eu de chance. Marlène Saldana en sous-vêtements sous son vison est extraordinaire en Jacques Demy défendant son choix du secret et rejoignant dans une danse échevelée et acrobatique Les Demoiselles de Cherbourg.
Il y a certes des longueurs, mais on sort bouleversé de la salle. Christophe Honoré voulait parler de ces années où, dit-il, « ceux que j’avais choisis comme modèles pour ma vie, mes amours, mes idées se rangèrent tous du côté de la mort, comment le sida brûla mes idoles » et il arrive à raconter ce manque, sans s’enfermer dans la douleur, avec tendresse et admiration.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h
Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon, 75006 Paris
Réservations : 01 44 85 40 40
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