
Les Femmes de Barbe Bleue mis en scène par Lisa Guez et fruit d’une écriture collective avec les cinq comédiennes, Valentine Bellone, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour et Jordane Soudre, a obtenu le prix du jury et des lycéens au Festival Impatience en 2019. On partage cet enthousiasme face à ce spectacle si réussi et si juste. La réécriture du conte se place non pas du côté de Barbe Bleue comme le conte de Perrault mais du côté des femmes assassinées.
Une femme en robe rouge (Valérie Krasnochok) commence à raconter à quel point sa nouvelle vie très aisée la comble mais elle s’interroge : son mari, Barbe Bleue, est parti en lui laissant tout loisir d’aller partout sauf dans une petite pièce dont il lui a laissé la clef. La curiosité, qui n’est pas un vilain défaut, va la pousser à ouvrir cette porte. Elle découvre horrifiée quatre femmes pendues qui entrent dans une danse endiablée sur Initials BB de Gainsbourg comme des fantômes puis vont s’asseoir sur quatre chaises et raconter à tour de rôle comment elles sont devenues les victimes de Barbe Bleue. Leurs quatre histoires témoignent du processus d’emprise, de domination. Elles racontent comment elles ont été séduites puis enfermées dans une vie qui semblait idyllique avant d’être tuées.
La grande qualité de Lisa Guez est de n’avoir pas fait un spectacle didactique et manichéen.
L’écriture collective à partir d’improvisations des comédiennes a permis d’arriver à quatre récits très différents ne les montrant pas comme des victimes d’un monstre mais faisant surgir toute la complexité des pulsions, des imaginaires des femmes. Qu’est-ce qui fait que cette figure masculine inquiétante et dominatrice peut attirer inconsciemment ? Pour Lisa Guez qui s’est appuyée sur les analyses de la psychanalyste Clarissa Pinkola Estès Barbe Bleue est une instance destructrice dans le psychisme féminin, un prédateur qui nous force à jouer des rôles sociaux où l’on s’interdit par avance toute liberté. Une sorte de Cerbère de l’auto-conditionnement.
Le jeu des comédiennes est fascinant. Chacune à son tour raconte avec un réel talent de conteuse son histoire. Mais elles ne se contentent pas de jouer leurs propres rôles de femmes assassinées Poussées par les autres qui n’hésitent pas à intervenir et à donner des conseils, elles rejouent le moment du crime passant en un clin d’œil du rôle de la femme à celle de Barbe Bleue. C’est bien en le jouant avec force mimiques, gestuelles qu’elles vont réussir à se libérer. Elles nous font rire tellement leur jeu est juste mais elles émeuvent aussi et nous impressionnent tant les situations sont vraies. Comme elles, on exulte quand enfin la dernière femme de Barbe Bleue réussit à le tuer. Ce ne sont pas les frères qui viennent la sauver mais elle se sauve seule aidée par les autres victimes.
Un très beau spectacle, très inventif où on ne s’ennuie pas une seule seconde. N’hésitez pas à y amener des adolescents, des élèves.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 29 mars, les mercredis, jeudis, vendredis et samedis à 21h15 – Théâtre de Belleville, 16 Passage Piver, paris 11ème – Réservations : 01 48 06 72 34 ou theatredebelleville.com
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