« Anne, ma sœur Anne ne vois-tu rien venir » ? Telle est la question que ne cesse de poser la femme de Barbe Bleue dans le célèbre conte de Perrault. Elle espère l’arrivée de ses frères qui vont la sauver de la fureur de son mari. Pourtant il est deux autres questions que l’on a envie de poser : pourquoi ne tente-t-elle pas de fuir pour lui échapper et pourquoi attendre passivement le secours de ses frères ? On rejoint alors les réflexions actuelles sur le féminicide. Pourquoi des femmes victimes de violence conjugale ne fuient-elles pas ? Il y a la peur, la volonté de protéger les enfants, l’amour qui survit, mais aussi l’emprise de leur compagnon.
Le conte de Perrault a servi de point de départ à la réflexion et à l’imaginaire des cinq actrices de Juste avant la Compagnie. Cela les a conduit à se poser la question du désir féminin et de la soumission des femmes. Violence d’une société patriarcale, où l’homme décide et ordonne, mais pas seulement. Violence du désir aussi, « subtil mélange de terreur et de jouissance » dit la dramaturge Valentine Krasnochok.
Cinq femmes, les fantômes de celles que leur Barbe bleue respectif a assassinées, vont nous raconter leur histoire. Cinq femmes différentes mais qui ont subi le même sort. Toutes ont été séduites par un homme, par son charme, sa richesse, sa puissance ou sa gentillesse. Elles n’ont pas voulu voir les premiers dérapages et les ont excusés. Toutes ont accepté les humiliations, puis un jour, elles ont enfreint une « règle » banale édictée par leur mari. Elles étaient prises dans l’engrenage et piégées, elles n’ont pas su s’enfuir.
La scénographie n’oublie pas la terreur que nous inspirait, quand nous étions enfant, le cabinet interdit. On ne voit jamais de sang, mais dans une lumière bleue les actrices se muent en poupées de son désarticulées qui errent sur la scène.
Chacune va raconter son histoire, mais la pièce ne s’enfonce pas pour autant dans le drame. Les cinq femmes s’arrêtent régulièrement dans leur récit pour s’entraider en inventant des fins alternatives. Elles ne manquent ni d’inventivité ni d’humour pour imaginer comment il fallait résister, ce qu’il aurait fallu ne pas trouver normal, ce qu’il aurait fallu dire et comment tenter d’échapper. De plus, elles sont aussi chacune son Barbe Bleue, lesquels peuvent être violents ou plutôt mous, manipulateurs ou passifs devant tant de passion ! Enfin on n’est pas dans le pathos, on rit même car ces femmes ne sont pas de faibles femmes et la scène finale est un hommage hilarant à la capacité des femmes à se tirer d’un mauvais pas ! Valentine Bellone, Valentine Krasnochok, Anne Knosp, Nelly Latour et Jordane Soudre incarnent des femmes fortes, volontaires, qui ont de l’humour et savent ce qu’elles veulent. Très bien dirigées par Lisa Guez, jouant de la voix et des gestes, passant de la sensualité à l’excitation, de la soumission à la volonté de résister, elles nous font rire et nous émeuvent.
Un spectacle très réussi qui évite les clichés, libère l’imagination du spectateur, le fait réfléchir et rire et qui, en dépit d’un sujet grave, donne la pêche !
Micheline Rousselet
À 21h du mercredi au samedi, le dimanche à 17h
Au Lavoir Moderne Parisien
35 rue Léon, 75018 Paris
Le 14 décembre à 16h30 et 21h et le 15 décembre à 14h et 18h
JTN
13 rue des lions Saint-Paul, 75004 Paris
Les 3 et 4 mars au Théâtre de La Verrière, Lille (59), Les 12 et 13 mars à l’Escapade à Hénin Beaumont (62), le 15 mai au Théâtre Les Tisserands à Lomme (59), en juillet au théâtre des Carmes au festival Avignon Off (84)
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