Première comédie-ballet de l’histoire, avec la musique de Lully et les ballets de Beauchamp, la comédie de Molière dessine le portrait d’une série d’importuns qui viennent empêcher le jeune Eraste de rejoindre sa belle. Le premier de tous est le tuteur d’Orphise qui ne veut pas de ce mariage. Suivent un vantard sans-gêne, un musicien-danseur envahissant, un duelliste, un joueur qui raconte sa dernière partie de cartes dans le moindre détail, un pédant, un inventeur enthousiaste, un chasseur passionné et deux précieuses qui veulent l’arbitrage d’Eraste dans un débat pour déterminer qui, d’un amant jaloux ou au contraire sage et respectueux, est le meilleur parti.
Bien que son propos en soit mince, la pièce est entrée dans l’histoire car elle fut jouée pour la première fois en 1661 au Château de Vaux-le-Vicomte à l’occasion d’une fête somptueuse donnée par Nicolas Fouquet en l’honneur du Roi Louis XIV. Déjà soupçonné par le Roi d’avoir profité de sa position de Surintendant des Finances pour s’enrichir aux dépens de l’État, le faste de cette fête choquera le Roi qui le fera arrêter peu après. Loin de pâtir de cette disgrâce, la comédie-ballet connut un grand succès et le Roi, habitué aux rencontres avec des importuns, demanda même à Molière d’en rajouter un, le chasseur.
Julia de Gasquet spécialiste du théâtre du XVIIème siècle et du jeu baroque, qu’elle enseigne à la Sorbonne nouvelle, signe une mise en scène qui nous ramène à l’émerveillement des spectateurs présents à la première représentation. Celle-ci démarre justement avec la voix off de François Marthouret, reprenant le récit qu’en ont donné La Fontaine et Félibien quelques jours après.
La lumière du soleil couchant dore la façade du château, le soir tombe et des lumières douces rappelant les chandelles prennent le relais. Des topiaires installés sur la scène rappellent les jardins de Vaux-le-Vicomte. Des musiciens s’installent dans une gracieuse gloriette pour les intermèdes musicaux (Danican Papasergio au violon baroque, Julián Rincón ou Felipe Jones au basson baroque et à la flûte à bec et Lena Torre à la basse de violon ou au violoncello piccolo). Vêtus de costumes baroques, acteurs, musiciens et danseurs, dont le chorégraphe Pierre-François Dollé, qui s’est inspiré des pas de danse de Beauchamp, maître à danser du Roi, nous ramènent dans la fête de 1661 qui se termine dans un ballet gracieux. Adrien Michaux incarne un Eraste de plus en plus dépassé par tous ces importuns, si exaltés qu’ils en deviennent inquiétants. Julia de Gasquet a une très jolie scène dans le débat des précieuses où l’on s’éloigne beaucoup du burlesque pour trouver des accents qui annoncent Le Misanthrope. Alexandre Michaud donne à La Montagne le côté malin des valets chers à Molière. Mélanie Traversier est une Orphise qui passe en coup de vent toujours supplantée par un fâcheux. Et, tout comme Molière en son temps, c’est Thomas Cousseau qui interprète brillamment tous les rôles de fâcheux.
Danse et musique deviennent des prolongements du jeu théâtral pour le plaisir de tous les sens. Et l’on ne peut s’empêcher de penser à l’ironie tragique de cette fête trop somptueuse qui signa la disgrâce de Fouchet.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 20 août à 21h au Château de Grignan dans la Drôme –
Réservations : 04 75 91 83 65 ou par internet
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