Il fait chaud, très chaud, dans cette banlieue où, tandis que leurs darons cherchent la fraîcheur au bistrot, les gamins tentent de gagner, serviette sur l’épaule, la piscine municipale, qui a fermé. Quant à l’autre, elle est « archi chère ». Les jeunes rêvent d’un ailleurs, Dubaï ou Marseille, et une idée germe dans leur esprit, une idée qui va les occuper et leur permettre de gagner de l’argent, « du bif ». Et ils sont très créatifs ! Les garçons achètent une piscine gonflable, l’installent dans un appartement en travaux au dernier étage de l’immeuble, la remplissent avec l’eau du robinet et prévoient de vendre des tickets pas chers aux habitants de l’immeuble avec, pour attirer le chaland, un tarif enfant. Les filles vont installer une plage dans le salon d’un appartement dont l’une d’elles a la clef. Avec quelques transats, un parasol et des bouées dragon ou cygne « la plage des enchantements », est prête pour le rêve.

Clémence Attar a reçu pour ce texte le Prix des Journées de Lyon des Auteurs de théâtre en 2023. Elle écrit la langue que parlent les adolescents des quartiers, rapide, nerveuse, colorée, inventive, pleine d’humour, avec ses acronymes, ses anglicismes, ses mélanges de verlan et de mots arabes. Il n’est pas fréquent de l’entendre sur une scène de théâtre. Les personnages se coupent la parole, s’interpellent, se défient, se lancent des « Mais frérot tu t’fous d’ma gueule toi ou quoi j’vais t’soulever j’vais t’niquer ta race » ou « Si j’vous ai fait venir ce soir c’est parc’que main’nant c’est l’bordel dans l’quartier … mais wesh non c’est pas d’ça qu’on parle ». Les jeunes acteurs, formidables de justesse et de vivacité, Leslie Bouchou Carmine, Mama Bouras, Yasmine Hadj Ali, Antoine Kobi, Eliam Mohammad, Clyde Yeguete trouvent facilement le ton juste car cette langue est la leur. Ils donnent au texte son rythme et sa musique.

Dans la mise en scène de Clémence Attar et Louna Billa, les filles sont d’un côté affalées sur les coussins, les garçons de l’autre, assis . Tous sont accablés par cette chaleur caniculaire jusqu’au moment où ils vont se mettre en action sur leur projet. Les garçons, lampe au front hissent la piscine au dernier étage, dans le noir, sans avoir vérifié avant s’il y avait de l’eau. Par chance il y en a ! Le remplissage s’organise dans le tâtonnement, on passe des bouteilles au tuyau, on parle chlore, prix d’entrée. Sur l’autre côté du plateau une des filles organise le travail. Le sable arrive ainsi que deux palmiers. Les transats, les ballons et les bouées suivent. C’est gai, coloré, les jaunes, les oranges créent l’atmosphère de la « plage des enchantements ». Filles et garçons se provoquent, discutent prix d’entrée à fixer, tous rêvent d’après, d’ouvrir une plage 2, de devenir riches.

Loin de la vision souvent misérabiliste et violente de la banlieue, cette pièce offre un tableau joyeux et drôle de jeunes, follement inventifs tant dans la langue qu’ils créent que dans leurs projets. Une pièce dont on sort sourire aux lèvres en se sentant bien.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 27 janvier à Théâtre Ouvert, 159 avenue Gambetta, 75020 Paris – du lundi au mercredi à 19h30, du jeudi au samedi à 20h30, le samedi 27 à 18h – Réservations : theatreouvert.com ou 01 42 55 55 50

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