S’inspirant du livre de W.G. Sebald Les émigrants , Volodia Serre reprend le parcours migratoire à travers l’Europe et jusqu’aux États-Unis de quatre hommes, plus ou moins liés à l’auteur. Le premier est un vieil aristocrate vivant en ermite dans la campagne anglaise et qui logea Sebald lors de son arrivée au Royaume-Uni. Le second est l’ancien instituteur de Sebald dans son village allemand, le troisième est un oncle de Sebald, parti aux États-Unis comme majordome d’un riche héritier, le dernier est un peintre rencontré dans son atelier de Manchester. Tous ont en commun d’avoir émigré et trois d’entre eux se sont suicidés. Les parents du premier, Juifs lituaniens, partis pour l’ « Amerikum » au début du siècle avaient atterri à Londres. Le second était précepteur en Suisse quand les biens de ses grands-parents juifs allemands ont été confisqués et que ses parents ont été déportés. Après la guerre il est revenu en Allemagne où il est devenu un instituteur peu conformiste et où il a fini par se donner la mort. Le troisième devient à New-York le majordome et peut-être l’amant d’un riche excentrique, ingénieur inventif et champion de polo. Quand celui-ci sombra dans la folie, l’oncle de Sebald s’enfonça doucement à son tour. Le dernier enfin, le seul à être encore en vie, est un peintre que ses parents ont réussi à faire partir mais qu’ils n’ont jamais pu rejoindre car ils ont été déportés.
Sebald enquête sur ces « fantômes » dont il ne reste que le souvenir de fragments de vie qui se répondent de façon subtile. Volodia Serre s’est interrogé pour savoir comment transposer au théâtre ce récit où il y a peu de dialogues, sinon un dialogue avec le temps où les morts viennent révéler un peu de leur mystère. Il a eu l’idée lumineuse d’entraîner les spectateurs dans une émission de radio qui se fait en direct sur le plateau et assure le lien entre les quatre récits. Une présentatrice (Gretel Delattre) introduit les trois intervenants (Olivier Balazuc, Pierre Mignard et Volodia Serre). Après un moment où ils partagent leurs impressions sur l’auteur, chacun prend tour à tour en charge un des « fantômes » ou encore le personnage du narrateur tel que l’a évoqué Sebald. La réalité de ces fantômes est attestée par quelques clichés fanés en noir et blanc qui s’affichent en fond de scène. La mémoire surgit au gré de ces photos, d’un titre de journal ou de chansons. Quand s’élèvent les voix graves de Marianne Faithfull ou Léonard Cohen, le spectateur a le cœur serré. Les déplacements de ces migrants s’affichent en fils rouges que l’on tend entre des points situés sur des cartes géographiques. On voyage avec eux : un demi-mètre carré de pelouse synthétique où gisent quelques pommes et l’on est en Angleterre, un train électrique et l’on est là où mourut l’instituteur, une roulette et l’on est transporté au casino de Deauville. Les spectateurs sont pris dans une sorte de vertige où se mêlent les fantômes du passé, les photos, la musique et leur propre imaginaire.
En cette année où la question des migrations occupe bien des scènes de théâtre, ce travail intelligent et sensible de Volodia Serre et de son équipe vient heureusement nous rappeler que les migrations sont inhérentes à toutes les sociétés humaines, qu’elles sont souvent imposées plus que choisies et ce qu’il fait sur ce sujet est magnifique.
Micheline Rousselet
Partie 1 les 20, 22, 27 et 29 mars à 19h, Partie 2 les 21, 23, 28 et 30 mars à 19h. Intégrale les samedis 24 et 31 mars à 17h
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette, 75011 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 43 57 42 14
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