Il s’agit d’un projet sur mesure pour les comédien.ne.s issu.e.s de l’École Supérieure de Théâtre de l’Union CDN Limousin consistant en deux commandes envisagées comme des comètes dans le ciel étoilé du théâtre en France. Elles seront mises en scène par la compagnie du Dagor et Aurélie Van Den Daele. Deux pièces au programme, Dans les ténèbres tout s’élance de Métie Navajo dont il sera question ci-après et Un beau désastre, Comme si de Marylin Mattéi.

« Dans les ténèbres tout s’élance »

Il était une fois une forêt de hêtres multiséculaires robustes et adaptés. Il était aussi la même fois des êtres humains avides et cupides. Un jour, les seconds remplacèrent les premiers par des pins Douglas, arbres à forte rentabilité marchande… Il était aussi une autre fois d’autres êtres humains amis des hêtres qui voulurent se lancer à la reconquête de la forêt, ils créèrent donc une Zone forestière à défendre. Sylvana, guide de cette ZAD boisée a rendez-vous avec Charlène et Martial qui fêtent leurs retrouvailles après dix de séparation depuis le collège en s’offrant un bivouac en forêt avec affût de nuit en cabane. On peut préférer un truc plus glamour sauf que l’époque n’est plus au romantisme mais au militantisme…
Sylvana a d’ailleurs été rebaptisée ainsi en raison de son engagement total pour la cause verte, une seconde nature au service de la Nature. Mais la forêt est aussi terrain de chasse… Un chasseur prétendant chasser sans son chien mais avec ses chaussettes, la parcourt à la recherche du méchant loup qui fait des ravages dans les troupeaux de la vallée. A prédateur, prédateur et demi, le chasseur porte veste orange fluo – est-ce aux chasseurs ou aux promeneurs d’être visibles ? À moins qu’ils aient peur d’eux-mêmes ! Cet amoureux de la gâchette a un alibi tout trouvé : il contribuerait en tuant, à la régulation écologique des animaux. Mais comment la Nature a-t-elle fait pendant des millions d’années avant l’apparition de la chasse de loisir sur terre ?! Entre les randonneurs et le chasseur, la rencontre est inévitable. Elle se fera lors du bivouac et se terminera à table, pas celle du « banquet de la nature » chère aux ultra-libéraux, plutôt celle d’une « mise à table » où le chasseur ne sera pas invité mais accusé, tenu en joue par son propre fusil. Sans violence autre que symbolique, la punition viendra par où il a péché : une pluie de cartouches de chevrotine s’abattra sur lui…
Le texte de Métie Navajo (dont on avait eu De la diversité comme variable d’ajustement en 2020 aux Plateaux Sauvages) porte un titre d’une grande suggestion sémantique. Dans les ténèbres tout s’élance, c’est une façon de signifier que la nuit, surtout en forêt, n’est pas la fin de quelque chose, mais un point de départ, une rampe de lancement. Nous, citadins bien éclairés-rassurés par nos réverbères-repères, ne savons pas ou plus nous élancer dans la nuit, nous en avons peur et ne savons pas ou plus nous guider à l’oreille, à l’instinct, aux étoiles, aux tremblements des buissons. Cette nuit vise à nous éclairer sur les enjeux de la forêt en pleine sixième extinction. La mise en scène par la Compagnie du Dagor sous la direction de Julien Bonnet, intègre tous les paramètres de la problématique et la résout avec originalité et efficacité, en suivant l’idée qui s’impose : nous plonger en douceur puis plus franchement dans l’épaisseur d’une forêt mise en danger par l’humain. En plateau nul arbre, pas même en carton, du bois quand même…
Qui dit forêt dit plantes et animaux ; n’en déplaise aux citadins, ces vivants non humains font du bruit, poussent des cris, mènent leur existence de jour comme de nuit sans se soucier des touristes effarouchés… Par le dispositif trifrontal, l’immersion théâtrale devient métaphore de celle écologique même si, à la différence d’un milieu naturel, c’est nous qui entourons la scène forestière. Là, le milieu est autour, ici il est bien au centre ! Nous ne pouvons manquer d’être affectés par l’écosystème de la scénographie du metteur en scène Julien Bonnet : un plateau qui pénètre en profondeur dans le public installé dans un inconfort nécessaire sur deux rangés de gradins en pin brut ; une cabane d’affût comme une grosse boite en aggloméré qui s’ouvre comme un tabernacle géant. Les cris animaux de la création sonore de Nourel Boucherk parachèvent la mise en condition. Les petits lampadaires à ampoule unique de Jérôme Leger pourraient signifier des arbres que les comédiens éteindront pour nous faire entrer dans les ténèbres où tout s’élance. Cet élan est un beau tremplin pour les quatre jeunes comédiens tout juste sorti.e.s de la Séquence10 de l’École du Théâtre de L’Union : Roxane Coursault-Defrance, Marianne Doucet, Siméon Ferlin et Luka Mavaetau.

Jean-Pierre Haddad

Théâtre de l’Union, CDN Limousin, 20 Rue des Coopérateurs, 87006 Limoges. Du 02 au 07 février 2023. Informations : 05 55 79 90 00 et www.theatre-union.fr

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