Pour Andréa Bescond, autrice et interprète des Chatouilles, c’est une longue histoire. En 2012, elle commence à écrire cette histoire qui, dit-elle, s’est imposée à (elle) comme une survie, comme l’envie de dire haut et fort ce que beaucoup ne veulent pas entendre, rejettent en bloc, quoi de plus insupportable que le viol d’un enfant. Elle la joue en 2014 et 2015 au Festival d’Avignon où c’est un succès et où elle reçoit le prix d’interprétation féminine d’Avignon critique OFF. Elle va ensuite la reprendre au moins 400 fois à Paris puis en tournée mondiale en 2016, le succès ne se dément pas. Elle enchaîne les prix : Molière 2016 du Seul(e) en scène, prix Jeune talent théâtre de la SACD 2016, Prix du jeune Théâtre de l’Académie Française 2016. Mais exténuée physiquement et moralement, elle a besoin de prendre du recul et confie son rôle à une autre comédienne, Déborah Moreau. Avec son metteur en scène, Eric Métayer, elle réalise également un film en 2019 qui connaît lui aussi un immense succès avec 2 Césars : meilleure adaptation et meilleur second rôle féminin pour Karin Viard. Aujourd’hui, dix ans après la création du spectacle et après avoir révélé que la petite fille, Odette, c’était elle, elle éprouve le besoin de remonter sur scène, de retrouver le public pour lui montrer qu’on peut surmonter un traumatisme et profiter de cette courte et magnifique vie.

Pour cette reprise, Andréa Bescond nous offre un spectacle d’une rare intensité avec une énergie incroyable. Quand la lumière se fait, elle apparaît dos au public, recroquevillée sur le sol. Elle se lève et danse la danse de la colère, danse saccadée qui traduit l’intensité de sa souffrance et de sa colère et qui va revenir tel un fil rouge tout le long du spectacle. Elle est Odette, la petite fille de huit ans et l’ami de la famille, Gilbert qui va abuser d’elle. Puis, elle nous projette dans un cabinet d’une psychothérapeute où elle va essayer de renouer avec sa mère qui est dans le déni en racontant vingt ans de sa vie. Les saynètes s’enchaînent à une allure folle et aidée par les lumières de Stéphane Fritsch et la bande sonore de Vincent Lustaud, elle nous fait voyager dans le temps et l’espace en jouant les personnages qui ont traversé sa vie. Elle passe avec une aisance et un brio époustouflants d’un rôle à l’autre en changeant en un instant d’intonation, de voix, d’accent, de gestuelle. Elle est Odette enfant, Odette adolescente qui intègre le Conservatoire national de Musique et de Danse de Paris, Odette adulte danseuse qui pour son métier voyage et qui va sombrer dans l’alcool, la drogue et le sexe. Elle est la mère qui ne veut rien entendre, le père, le violeur, la professeure de danse de quand elle était enfant, ses petits camarades, ses collègues de travail, le policier qui prend sa déposition quand elle va dénoncer son agresseur, son meilleur camarade, jeune de banlieue parlant l’ argot. Elle est la psy et le fantôme de son idole Noureev… Elle impressionne par ses talents de comédienne mais aussi de danseuse. Elle est aussi à l’aise en danse classique que hip-hop, rap, comédies musicales.

Chaque épisode de sa vie est d’un réalisme saisissant. On suit sa descente aux enfers et sa renaissance grâce à la danse, à la dénonciation de son violeur et grâce aussi à son spectacle qui lui permet de dire la résilience et la renaissance. Elle nous émeut, nous fait aussi beaucoup rire et nous amène à partager sa colère, sa révolte. Ainsi qu’elle le répète à sa mère, elle n’est pas malheureuse mais en colère.

Un spectacle vraiment impressionnant par la virtuosité de comédienne et de danseuse d’Andréa Bescond qui serait encore plus fort s’il était un peu raccourci.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 1er juin les jeudis, vendredis et samedis à 21h, relâche les 2, 3, 4, 11 mai – Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin, Paris 18ème – Réservations : 01 46 06 49 24 ou billeterie@theatre-atelier.com

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