Théâtre : Les chaises

On sort du théâtre de l’Aquarium avec l’impression d’avoir vu pour la première fois cette pièce, pourtant si souvent jouée comme il sied à un classique du XXème siècle. Parce que Ionesco est catalogué comme le « père du théâtre de l’absurde », trop de mises en scène ont mis l’accent sur l’absurde… jusqu’à l’absurde, en affublant par exemple l’homme de couches culottes, comme si parce qu’âgé, il était gâteux. Or ce couple est très près de nous tous, pauvres humains, quand nous vieillissons et la mise en scène de Bernard Lévy l’éclaire magnifiquement.

Théâtre : Les chaises
Théâtre : Les chaises

Sur scène un couple très âgé. Il y a lui, qu’elle appelle « mon chou » et elle, sa compagne, Sémiramis. Ils sont mariés depuis des lustres, se racontent toujours les mêmes histoires. Elle ne se lasse pas de lui faire répéter les mêmes choses. Il s’agite car il a invité des personnalités du monde entier, des « amis » pour leur communiquer « son message à l’humanité ». Ce sera un orateur qui parlera à sa place. La sonnette ne cesse de se faire entendre. Il ouvre la porte à des invités invisibles, elle s’active pour apporter des chaises, de plus en plus de chaises pour la foule qui se presse invisible. Quand l’orateur arrive enfin, c’est un homme encore plus âgé, appuyé sur sa canne et traînant sa perfusion qui entre et il ne dira rien.

Bernard Lévy a choisi, sans perdre l’aspect burlesque de la pièce, de l’ancrer dans le réel. Le couple est placé dans une grande boîte de verre dans un salon désuet avec deux chaises confortables et une commode. Point n’est besoin de pyramides de chaises sur la scène, une dizaine suffisent. Elle et lui ne se jetteront pas par deux fenêtres opposées pour mourir, ils prendront un cachet et s’assiéront côte à côte, elle la tête sur son épaule, nous tournant le dos, tandis que l’orateur sortira en silence. Lui c’est Thierry Bosc en marcel et pantalon retenu par des bretelles, qui fait passer toutes les nuances du personnage, un peu commandeur, porté par l’importance de sa mission mais inquiet de sa réussite. Emmanuelle Grangé est Sémiramis, en blouse de ménagère, en adoration devant son grand homme qui aurait pu être « maréchal-chef » ou chef de n’importe quoi « avec un peu plus d’ambition ». Elle peut aussi être un peu ironique ou troublante dans un vieux reste de séduction coquette.

Plus ancrée dans le réel, la pièce prend alors une autre couleur. On est face à un vieux couple à qui il reste l’amour mais qui est peu à peu gagné par la perte des souvenirs, le regret de ce qu’ils n’ont pas fait, l’angoisse de la solitude et de la mort, la peur de disparaître dans l’oubli. Il y a toujours l’absurde, ces invités invisibles, ces souvenirs dissonants et on en rit. Mais débarrassée des scories auxquelles on l’a trop souvent réduite, la pièce devient bouleversante et on se retrouve au bord des larmes en écoutant ces mots dits par deux acteurs magnifiques.

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h

Théâtre de l’Aquarium

La Cartoucherie

Route du Champ-de-Manoeuvre, 75012 Paris

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 43 74 72 74

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