Nathalie Couderc est une femme en émoi. Son fils a été tué par balle lors d’une manifestation. Serait-ce une défense disproportionnée contre des jets de cocktails Molotov d’un policier aux abois? Faire usage d’une arme à feu lors d’une manif est assez rare mais on se souvient de ces images de décembre 2018 montrant un motard de la police sortir son arme face à des Gilets Jaunes… Disons que cette « bavure » représente toutes les violences policières. Celle-ci s’autorisant abusivement du concept de Max Weber si bien et si mal connu du « monopole de la violence légitime » d’État (qui n’est pas une justification de la violence contre le peuple mais un constat sociologique). Le procès a débouché sur un non-lieu. Dans le tourment de ce déni de justice, la mère fait une déclaration très maladroite sur les marches du tribunal : « Je ne savais pas qu’en France on pouvait tuer des enfants blancs.» Quoi ? Comment ? La police pourrait tuer des enfants noirs mais des blancs, c’est scandaleux ? C’est l’embrasement, l’émeute dans tout le pays. Et ça se comprend ! La mère accusée de racisme, menacée, doit quitter son appartement du centre de Lyon. Le spectacle commence sur sa panique devant la nécessité d’un appel au calme. Besoin de s’expliquer aussi : elle voulait simplement dénoncer le fait que tout jeune, pas seulement à la peau colorée, peut être injustement tué par la répression policière.

Pourquoi avoir voulu greffer sur le drame de la perte injustifiable d’un enfant par une mère cette bévue langagière ou ce racisme involontaire qui peut exister aussi dans la bourgeoisie de gauche bien-pensante (la mère est médecin et ancienne étudiante gauchiste) ? Était-ce bien utile pour parler de la violence physique de la police et de celle symbolique de l’institution judicaire ? La pièce croise ces thèmes qui mériteraient un traitement à part.

Perdre subitement son fils de 19 ans du fait d’une violence d’État est déjà une douleur immense. Douleur qui n’a pas de nom dans la langue pour désigner, symétriquement à la notion d’orphelin, des parents dont l’enfant est mort. Forger un néologisme à base de latin ? « Je suis une mère puermortem » pourrait par exemple dire la mère de L’enfant que j’ai connu. Le sujet central de la pièce est bien celui du deuil et de la tentative d’une mère de conserver son enfant par-delà la mort, de lui faire un tombeau au sens poétique du terme. C’est tout le sens et la beauté de la pièce d’Alice Zeniter mise en scène par Julien Fisera. Cette femme si proche d’un fils dont elle dit qu’il était le double de l’homme qu’elle aimait (son père) veut à tout prix rester dans le lien, dans une mémoire vive de son fils. La mise en plateau très inventive de Nicolas Barry, Thierry Thieû Niang et Jean-Gabriel Valot consiste en une trentaine de sacs en papier beige ou blanc répartis de manière précise et par anticipation sur la scène. La comédienne Anne Rotger, au corps à la fois mûr et adolescent, se meut dans cet espace balisé, tantôt comme un automate du fait de sa folle douleur, circulant rapidement entre les sacs, tantôt comme une abeille qui va de sac en sac en y puisant les ressources du tombeau de Cédric qu’elle confectionne sous nos yeux à même le sol.

Au-delà de la dénonciation éthique de l’abus politique de la violence, thème d’une tragédie possible façon Antigone, ce qu’il faut retenir de L’enfant que j’ai connu est bien la réflexion sur un travail de deuil qui ne joue pas sur le dépassement impossible de la disparition mais renoue avec la commémoration, assume de vivre avec le souvenir entretenu du défunt, un être connu et aimé à jamais.

Tombeau consolateur ou réparateur ? La réparation par la justice trop asservie au politique n’a pas eu lieu – son non-lieu est son aveu. Réparons la maladresse de Nathalie Couderc en proposant une épitaphe pour la tombe de Cédric : « En France la police peut tuer impunément des jeunes révoltés contre les injustices. » Quant à la consolation, elle doit nous restaurer dans notre personne, nous rendre l’entièreté de notre être brisé, déchiré, amputé par la perte d’autrui. Le plateau de théâtre transformé en tombeau fictif est cette consolation pour Nathalie Couderc car c’est en partageant sa douleur avec nous qu’elle peut en guérir. Inversons les effets cathartiques et assumons de nous servir du théâtre pour mieux vivre les scènes de la vie réelle.

Jean-Pierre Haddad

Au théâtre Dunois, 7 rue Louise Weiss, 75013 Paris. Du 1er au 12 février 2022. En semaine à 19h, les vendredis et samedis à 20h. Relâche le dimanche. Réservation au 01 45 84 72 00 ou sur reservation@theatredunois.org

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