Boris Vian n’avait que vingt-six ans lorsqu’il écrivit L’écume des jours, devenu un livre culte pour la jeunesse. Le succès ne fut pourtant pas immédiat, en dépit du soutien de Raymond Queneau et de Jean-Paul Sartre, avec qui Vian collaborait pour la rédaction des Temps Modernes.

Un titre léger et pourtant mélancolique pour une histoire d’amour fou que vient briser la mort, celle de Chloé qu’étouffe le nénuphar qui envahit peu à peu ses poumons. Un écrivain accompagné de sa machine à écrire, Boris Vian, est installé dans un coin du plateau. Il écrit cette histoire d’amitié entre Colin, jeune homme fortuné amoureux de Chloé, son cuisinier Nicolas, amateur de recettes aussi étranges que baroques et son amoureuse Isis, et enfin Chick, collectionneur maniaque que sa passion pour Jean-Sol Partre dévore au point de l’empêcher de se lier vraiment à Alise. Le monde brillant, insouciant, euphorique, imprégné de danse et de jazz va laisser place, avec la maladie de Chloé, à un espace mortifère où l’humidité envahit l’appartement comme le nénuphar les poumons de Chloé. L’argent qu’on ne comptait pas devient un problème et le travail, qui renvoie les hommes au rang de machine et dévore leur vie, remplace la joyeuse oisiveté.

La toute jeune compagnie Les joues rouges s’est emparée du roman. On y retrouve l’écriture de Boris Vian, son goût du jeu sur les mots, son amour du jazz, l’urgence de vivre avant que la mort vienne (Vian avait un rhumatisme cardiaque dont il prédisait qu’il le tuerait avant ses quarante ans, ce qui s’est avéré juste). Des chansons de Vian, comme La complainte du progrès (avec sa tourniquette!) ou Fais-moi mal Johnny se glissent avec fluidité dans le récit et les dialogues.

Claudie Russo-Pelosi, la metteuse en scène a mis en majesté sur le plateau le fameux piano cocktail, présent dans le roman, avec ses bouteilles qui tournent, ses ampoules colorées et ses verres où se préparent automatiquement les cocktails. La pianiste y joue des morceaux de jazz, en particulier ceux de Duke Ellington qu’admirait tant Boris Vian. L’humour et l’esprit surréaliste chers à Boris Vian ont gagné les costumes, une robe graphique noire et blanche s’accompagne de bottes, une noire, une blanche, l’huissier qui vient saisir les meubles de Colin est bardé de chaînes comme un général l’est de médailles. Quand la mort s’approche, les couleurs et les lumières s’assombrissent sauf pour Chloé qui, parée de l’innocence du blanc, se couvre de fleurs. Avec les comédiens, aussi musiciens, chanteurs et danseurs de la compagnie Les joues rouges, on retrouve à la fois la vie et la mélancolie de cette œuvre, toute imprégnée de poésie et de rêve, qui sublime l’innocence, la légèreté et la fragilité de la jeunesse.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 21 août au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris – du mercredi au samedi à 19h, le dimanche à 16h – Réservations : 01 45 44 57 34 ou www.lucernaire.fr

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