
Ce voyage est sans retour mais pas sans compagnie, sans accompagnement. Le mot est lâché. On est toujours seul face à la mort qu’elle soit naturelle ou due à la maladie, mais il y a une grande différence entre mourir dans la solitude et mourir en étant accompagné par ses proches, par des gens aimants, ou tout simplement des professionnels bienveillants. Dans Winterreise, le lied de Frantz Schubert dont s’inspire le titre de la pièce, le poète Wilhelm Müller dit « L’amour aime à cheminer », ici il aide à cheminer et l’on a raison d’appeler aussi les accompagnants, des « aidants ». Pour Denis Lachaud qui a écrit Le voyage d’hiver, aider à mourir est un acte d’amour de la vie et c’est en considérant vivante la personne jusqu’à son dernier souffle, qu’on l’aide au mieux. Aider à mourir ce n’est pas pour la mort qu’on le fait, mais pour la vie qui elle n’abdique jamais, simplement elle s’avère au final trop faible pour lutter encore. Une vie s’achève alors mais la vie continue.
Jacques est atteint de la maladie d’Alzheimer qui ne tue pas directement mais complique grandement les dernières années de vie. Sa femme Simone est avec lui, ses enfants adultes redeviennent plus proches. L’événement crée un resserrement des liens et chacun des accompagnants s’enrichit de « l’aventure », même si l’expérience éprouve les corps et les âmes.
En répondant fidèlement à la commande de la compagnie L’idée du nord de Benoît Giros, l’auteur a insisté sur la dimension spirituelle de la fin de vie qui tend à transformer les vivants en les amenant à un sens plus aigu du lien, de l’amour d’autrui, de l’acceptation des choses inéluctables. Cette dimension se traduit dans le jeu par une sorte de grâce qui porte les relations des personnages avec Jacques, mari, père, patient. Une atmosphère de veillée entre amis se dégage et tout se passe en douceur, en dépit de la douleur. C’est bien sûr un effet de la mise en scène assurée par Benoît Giros qui joue aussi le fils de Jacques interprété par Mikaël Chirinian. Muriel Gaudin jouant tantôt la femme tantôt la fille de Jacques. Mais ce qui ajoute quelque chose de singulier à l’atmosphère de la pièce et en la faisant déborder du plateau, est que le propre père de Benoit Giros, Philippe Giros est mis à contribution d’une manière assez inattendue et émouvante. Dès lors, la frontière entre fiction et réalité devient poreuse pour les comédiens comme pour le public. Benoît Giros et son père ont accompagné leur mère et épouse atteinte d’Alzheimer durant dix années… Pour autant, ni le texte, ni la mise en scène, ni le jeu des comédiens ne sont emprunts de morbidité, de pathos doloriste ou de désenchantement désespéré. Il est rare qu’un moment de théâtre devienne une méditation, une exploration sereine de limites infranchissables certes, mais que l’on doit apprendre à côtoyer. C’est le cas de cette pièce qui travaille à la lisière de la vie et de la mort.
« Doucement, doucement, les portes sont fermées ! » dit encore le lied. Les portes de la vie, elles, restent toujours ouvertes et la fin de la vie de Jacques n’est pas la fin de l’histoire, comme après l’hiver vient le printemps.
Nous pouvons tous apprendre quelque chose durant cevoyage théâtral.
Jean-Pierre Haddad
Avignon Off. Artéphile, 7 rue du Bourg Neuf, Avignon. Du 5 au 26 juillet 2025, tous les jours à 20h35. Relâche les dimanches. Informations et réservations : https://www.artephile.com/artephile-off-25-le-voyage-dhiver
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