Pierre-Olivier Scotto et Jean-Philippe Daguerre, tous deux passionnés de Molière, ont eu l’idée de faire revivre l’Illustre Théâtre et de parler de Molière avant son arrivée à Versailles et l’écriture de ses pièces les plus célèbres. Ils ont imaginé un jeune apprenti acteur d’aujourd’hui Léo, s’évanouissant lors d’une audition, et se retrouvant projeté en 1656 dans le chariot qui abritait le théâtre itinérant de Molière et sa troupe voyageant de ville en ville. Léo devenu Léandre, y découvre la vie de ces comédien.ne.s prêt.e.s à endurer la précarité, la misère, l’anathème de l’Église pour l’amour du théâtre avec ses succès éphémères mais enivrants. Il y éprouve aussi toutes les émotions qui les traversent, l’amour, la jalousie, la peur de ne pas être à la hauteur, la révolte face à l’attitude des Autorités et surtout de l’Église pour qui le théâtre est une œuvre du diable.
Projeter un jeune homme d’aujourd’hui, Léo, dans la peau de Léandre permet des anachronismes savoureux, comme lorsque l’on entend la troupe s’évertuer à prononcer le « u » et le « the » anglais pour accompagner Léandre dans une chanson des Beatles. Dans le cours de la pièce, se faufilent des extraits des premières farces de Molière inspirées de la commedia dell’arte puis ceux de sa première pièce en alexandrins Le dépit amoureux. Quelques vers de pièces ultérieures, le Tartuffe par exemple, se glissent même malicieusement dans le texte.
La mise en scène de Jean-Philippe Daguerre joue sur l’esprit de troupe pour évoquer cette vie de saltimbanque. Mémoire du chariot qui accompagnait l’Illustre Théâtre, une lourde plate-forme de bois ronde, montée sur roues (beau décor d’Antoine Milian) et encombrée des objets nécessaires au quotidien et au théâtre, est poussée par les comédiens quand le théâtre se déplace. Ceux-ci, en costumes d’époque sont aussi chanteurs et musiciens (violon, violoncelle et petite guitare portugaise). Stéphane Dauch donne à Molière toute sa complexité, sa lucidité par rapport à l’Église et au pouvoir royal, son amour des femmes, son envie d’être reconnu mais aussi ses appréhensions et ses doutes. Charlotte Matzneff (en alternance avec Floriane Vincent) campe une Madeleine Béjart qui accepte les trahisons de Molière par amour pour lui et pour le théâtre. Mathilde Hennekinne est une Marquise Duparc amoureuse de Gros René (Teddy Mélis ou François Raffenaud) mais aussi du génie de Molière. Geoffrey Palisse (Léo), Violette Erhart (Toinette) et Charlotte Ruby (ou Giulia de Sia), dans le rôle d’Armande, complètent avec talent la distribution.
Une belle déclaration d’amour à Molière et au théâtre qui plaira à tous.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 7 janvier au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris – du mardi au samedi à 19h, les dimanches à 16h – Réservations : 01 45 44 57 34 et www.lucernaire.fr
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