Vienne 1938. Freud dans son appartement, où par les fenêtres parviennent des bribes de discours nazis, parle avec sa fille, Anna. Elle veut qu’il signe un papier exigé par les nazis pour les laisser partir. Il hésite. L’arrivée d’un Gestapiste qui emmène sa fille trop insolente le laisse dans l’inquiétude. C’est alors que, semblant venu de nulle part, apparaît un homme en habit, chapeau sur la tête, canne à la main. Par où est-il entré, qui est-il, que veut-il ? Il élude les questions, mais semble connaître le passé et annoncer l’avenir. Freud s’interroge, voleur, malade mental ? Il le fait s’allonger sur le divan, tente l’hypnose, sans succès. Alors qui ? Un rêve, une projection de son inconscient ? Et si c’était Dieu ? Mais Freud ne croit pas en Dieu !

Le texte d’Éric-Emmanuel Schmitt est intelligent et brillant. Dans ce débat entre Freud et le visiteur, « tous deux doivent avoir énormément de choses à se dire puisqu’ils ne sont d’accord sur rien ». Freud évoque bien sûr l’argument de l’existence du mal pour réfuter la croyance et Dieu répond par la liberté de l’homme. Nombre des arguments utilisés classiquement dans le débat sur la croyance sont là, mais leur formulation, marquée par l’humour, accroche le spectateur, d’autant plus que le visiteur laisse planer jusqu’au bout le mystère sur son identité.

La mise en scène de Johanna Boyé installe la pièce à la fois dans le réalisme et dans le rêve. Réalisme par le décor – le bureau de Freud avec ses rideaux, son divan, la bibliothèque avec ses livres et ses objets – et par la menace que portent les bruits de discours et de chants nazis arrivant par les fenêtres. Rêve et mystère avec un peu de magie – ce document qui s’échappe des mains de Freud, tellement peu désireux de le signer, canne de Dieu qui se transforme en pluie de paillettes, Anna emmenée par la Gestapo qui apparaît dans le tableau sur le mur.

Katia Ghanti (Anna) et Maxime de Toledo (le gestapiste ), tous deux très justes, réussissent à faire exister leur personnage aux côtés des deux acteurs brillants qui interprètent Freud et le Visiteur. Sam Karmann incarne Freud, qui voit le fascisme envahir tout, qui a peur pour sa fille, qui hésite à partir pour sauver sa famille car il sait que cela revient à se désolidariser de ceux qui n’en ont pas la possibilité. Il est le vieux monsieur hésitant que l’on imagine, s’interrogeant sur son mystérieux visiteur, tiraillé entre son athéisme et ce personnage qui lui échappe. Franck Desmedt, qui est aussi à l’affiche du Lucernaire dans le Voyage au bout de la nuit, campe avec une intelligence, une ironie et une élégance folles cet inconnu. Il apparaît et disparaît derrière les rideaux, s’amuse à entretenir l’ambiguïté, joueur, maître du jeu, un peu déprimé parfois, tout de même ! Feu follet diabolique, un comble pour Dieu, mais le personnage est-il Dieu ?

Micheline Rousselet

À partir du 8 septembre au Théâtre Rive Gauche – 6 rue de la Gaîté, 75014 Paris – Réservations : 01 43 35 32 31 – du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h

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