Donner la parole à la mère du Christ, une des femmes les plus célèbres et les plus représentées dans l’art occidental, c’est ce que fait dans ce texte l’auteur irlandais Colm Tóibìn et c’est l’image d’une femme et d’une mère qui se dessine, bien éloignée des images de catéchisme où on l’a enfermée. Marie est en exil, protégée mais aussi surveillée par ceux qui veulent préserver le dogme, ceux qui consignent tout, car sa mort « annonce l’aube d’un nouveau monde ». Elle se souvient de tout. Elle revit les mois qui ont précédé le supplice, les miracles, les moments où elle a vu venir le danger qui guettait son fils, entouré d’une « bande de désaxés » dit-elle, mais où elle n’a pas réussi à le faire revenir chez elle. Elle revit « ce jour de confusion, de terreur, de hurlements et de cris », l’horreur de la montée au Golgotha avec tous ces hommes qui rient ou insultent les suppliciés, ceux qui viennent au spectacle ou qui jouent aux cartes, cet oiseleur qui nourrit son rapace, cette ivresse de la violence. Ce n’est plus la Vierge que nous avons devant nous, c’est une mère qui dit sa souffrance et sa culpabilité pour n’avoir pas réussi à protéger son fils et pour avoir été obligée de le quitter alors qu’il n’était pas encore complètement mort.
C’est Deborah Warner qui met en scène ce très beau texte, qui ne parle pas seulement de Marie, mais en fait une histoire universelle sur la relation d’une mère et de son fils. Avant que la pièce ne commence, sur un fond de bougies placées dans des photophores de couleur, c’est une statue de la Vierge avec son manteau bleu qui occupe la scène. Mais la tragédie est déjà là, avec sur un perchoir cet oiseau de proie vivant, que récupère une Dominique Blanc en longue robe écarlate. Quand la pièce commence, un voile tombe, ne laissant sur scène que quelques objets simples et symboliques, une sorte de mât évoquant le supplice, l’échelle qui servira à hisser la croix, des vases emplis d’eau. Dominique Blanc, en jean et chemisier, est seule sur scène et le restera tout au long de la pièce. Un drap blanc devient voile dont elle se couvre le visage ou linceul enveloppant un corps qu’elle dépose sur ses genoux, se transformant en Pietà. Elle écarte un bras puis les doigts, semblant partager la douleur de son fils cloué sur la croix. Tout comme les lumières, tantôt crues tantôt crépusculaires, la musique et les sons créent une atmosphère tragique où vibre la parole de Dominique Blanc, disant la solitude de Marie, sa colère et son désespoir. Elle est bouleversante.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h
Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon, 75006 Paris
Réservations : 01 44 85 40 40
Se réclamer du Snes et de cet article : demande de partenariat Réduc’snes en cours
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu