On attendait avec impatience cette version du Tartuffe original de Molière, censurée après deux représentations car jugée trop sulfureuse par l’entourage. Jusqu’à présent on ne voyait sur les scènes que la version définitive, celle à laquelle Molière a rajouté deux actes pour insister sur la fausse dévotion et l’imposture de Tartuffe et qu’il a intitulé Le Tartuffe ou l’imposteur.

Pour l’ouverture de la saison Molière à l’occasion du quatre centième anniversaire de sa naissance, Eric Ruf, le directeur de la Comédie Française, a choisi de faire appel à Ivo van Hove, metteur en scène reconnu partout en Europe. Celui-ci n’aimait pas le cinquième acte de Tartuffe et il se trouve qu’à ce moment Georges Forestier, le grand spécialiste de Molière, venait de finir de reconstituer scientifiquement  la version initiale de Tartuffe. Tout semblait donc réuni pour une grande première.

Malheureusement les parti-pris de mise en scène d’Ivo van Hove apparaissent bien discutables. Pour lui Tartuffe débarque comme un SDF dans la famille d’Orgon. On le baigne, on l’habille et il s’installe en costume élégant au milieu des autres. Pourquoi pas, mais ce qui intéresse le metteur en scène c’est le côté dysfonctionnel de cette famille. Un mari qui préfère s’inquiéter de Tartuffe, en excellente santé, que de sa femme malade. Un homme qui s’entiche de ce directeur de conscience au point de le préférer à toute sa famille et a pour lui presque les mots d’un amoureux sous emprise. Une mère qui vante à tous la rigueur morale de Tartuffe et en profite pour critiquer sa bru. Quant à Elmire, dans la version que nous connaissions, elle restait loyale à son mari et choisissait de le démasquer pour l’éclairer. Peut-être pouvait-on lire un peu de trouble chez elle face aux avances de Tartuffe, mais Ivo van Hove oublie toute la finesse de Molière. En mini-jupe ou en court peignoir de satin, elle le frôle, le touche, se colle à lui, le déshabille, se laisse caresser, déshabiller. Elle n’est plus dans un jeu pour démasquer Tartuffe, elle épouse le désir de Tartuffe. Et pour confirmer son interprétation, Ivo van Hove a rajouté une sorte d’épilogue muet, où l’on voit Elmire enceinte jusqu’aux yeux aux bras de Tartuffe. On a perdu le sens de la pièce et toute la subtilité de Molière.

D’autres aspects de la mise en scène apparaissent tout aussi lourds : une musique envahissante souligne les entrées et les sorties de Tartuffe, des textes comme au temps du cinéma muet s’affichent sur le mur du fond. Pour le metteur en scène « ces questions et remarques seront le moyen de renforcer l’idée que le spectateur ne doit pas seulement ressentir mais aussi réfléchir ». Quand on lit « Qui piège qui ? » ou encore « Amour ou soumission », on n’est pas très convaincu par l’argument !

Heureusement on l’est par la qualité des interprètes. Loïc Corbery porte avec élégance le rôle de Cléante, le beau-frère d’Orgon qui tente de mettre un peu de raison dans cette famille. Claude Mathieu a la rigueur et l’obstination dévote de celle qu’aucune preuve ne fera douter de Tartuffe et qui finit par exaspérer son propre fils. Denis Podalydès donne à Orgon de la complexité. Sous emprise, il se laisse tromper, bégaie presque pour vanter les mérites de Tartuffe, s’agenouille devant lui et pourtant se lance dans des accès d’autoritarisme quand il s’agit d’affirmer sa position de chef de famille. Marina Hands compose une Elmire troublée, violente, attrapant au cou son mari dans un accès de frustration et de rage, se débattant tout en cédant à Tartuffe. Elle est magnifique. Christophe Montenez, loin du dévot doucereux que l’on présente parfois est un Tartuffe, jeune, élégant, attirant, entreprenant. Dans ce Tartuffe plus court mais aussi plus sombre que la version à laquelle nous sommes habitués, c’est la superbe Dominique Blanc, dans le personnage de Dorine, qui apporte la note de comédie qui manquait.

Mise en scène décevante donc. Heureusement il reste la découverte de cette version initiale et les interprètes de plus en plus brillants de la Comédie Française.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 24 avril à la Comédie Française, Salle Richelieu, Place Colette, 75001 Paris – Matinées à 14h, soirées à 20h30 – Réservations : 01 44 58 15 15

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