Dans cette histoire légendaire du théâtre Nô, revisitée par Yukio Mishima, un vieil homme chargé de balayer un théâtre est ébloui par la beauté d’une jeune danseuse. Elle lui dit qu’elle sera à lui s’il réussit à faire sonner un tambour qu’elle lui confie. Le vieil homme plein d’espoir s’y essaie sans succès puisque la surface du tambour a été remplacée par de la soie. Désespéré, il se donne la mort et son spectre ensanglanté vient hanter la jeune femme qui se laisse envahir par un terrible sentiment de culpabilité.
Le théâtre Nô mêle théâtre, chant et danse. À 87 ans, Yoshi Oïda a fait le rêve de danser, ce qu’il n’avait jamais fait jusqu’alors, avec son contraire. « Je suis un vieux monsieur et Kaori une jeune femme ». Jean-Claude Carrière avec qui, pour Peter Brook, Yoshi Oïda avait souvent travaillé, a écrit le texte du spectacle inspiré par Mishima.
En fond de plateau trois pans d’un tissu lamé accrochent la lumière délicatement. Yoshi Oïda passe un balai-serpillière sur le sol. Kaori Ito, jeune danseuse consciente de sa beauté, commence à répéter sur la musique que crée un musicien, Makoto Yabuki, usant des flûtes de bambou traditionnelles dans le théâtre Nô, des tambours japonais et d’un xylophone en bambou qu’il a lui-même fabriqués. C’est une danse traditionnelle du théâtre Nô, « la danse de la folie », que répète la danseuse, d’abord vêtue d’un jogging, puis d’un superbe kimono. Pourtant cet environnement d’une beauté très japonaise va nous entraîner dans une histoire universelle, celle d’un vieil homme encore désireux de plaire et d’une jeune femme qui se rit de lui. Le spectre du vieil homme ensanglanté va la hanter et le tambour de soie qui a la forme d’un sablier lui rappeler que, pour elle aussi, le temps passe.
Le spectacle né du désir commun de l’acteur et de la danseuse est aussi une histoire de transmission. Il dit : « Kaori est comme ma grande fille et être ensemble sur le plateau est un grand bonheur ». Ils se connaissent bien et elle dit que tel un second père, il lui a beaucoup appris. Tous deux ainsi que le musicien qui les accompagne, revisitent le Japon et enrichissent leur répertoire au contact de l’autre pour davantage de beauté et d’émotion. Pour l’un comme pour l’autre c’est le corps qui amène l’émotion. C’est aussi vrai pour l’acteur, qui prend une posture pour ensuite dire le texte, que pour la danseuse. Yoshi Oïda glisse sur la scène, avec la lenteur posée et lourde d’expériences accumulées du vieil homme. Kaori Ito épouse le rythme de la tradition japonaise du jeu, où le tempo commence lentement et utilise les silences de « la danse de la folie » avant de se développer en intensité jusqu’à l’apogée finale.
Sur le plateau dépouillé, que n’occupent que les instruments de bambou et le seau et le balai du vieil homme naît une atmosphère étrange, un peu fantastique où s’imposent la beauté et l’émotion. Ce spectacle à l’esthétique en apparence très japonaise atteint l’universel et nous touche au cœur.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 26 novembre au Théâtre Nanterre -Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, 92022 Nanterre – mardi et mercredi à 19h30, jeudi, vendredi à 20h30, samedi à 18h, dimanche à 15h – Réservations : 01 46 14 70 00 ou nanterre-amandiers.com
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