
L’époque serait-elle aux despotes… très peu éclairés ? À moins que ce ne soit le pouvoir sans partage ni contre-pouvoir qui rende stupide. Un père et roi normal, juste autoritaire, veut marier sa fille à un autre roi très imbu de son pouvoir qu’il exerce avec arbitraire et fantaisie. Mais la princesse est amoureuse d’un porcher ! La rencontre entre la jeune fille accompagnée de ses dames d’honneur avec le jeune homme accompagné d’un ami et de ses cochons se déroule au mieux, on chante, on danse et les amoureux s’embrassent avec exaltation. Bien évidemment le scandale de classe arrive aux oreilles du roi et le porcher doit fuir pour se mettre à l’abri. La princesse devra épouser l’autocrate mais elle continue à protester en le trouvant ridicule et inculte. Ce n’est pas incompatible avec l’accession au pouvoir en régime héréditaire car la descendance ne fait pas l’intelligence, mais nous savons désormais que cela peut également arriver en régime compétitif comme la démocratie libérale à condition d’y mettre le prix puisque tout s’y achète et tout s’y vend ! Par une ruse du porcher, le roi imbécile sera confondu et Henriette retrouvera son Henri.
Evgueni Schwartz écrit Le Roi nu en 1934 en Union soviétique. Rusé comme son personnage principal, il tresse entre eux trois contes d’Andersen – La Princesse et le Porcher, La Princesse au Petit Pois, Les Habits neufs de l’Empereur – et invente une nouvelle fable aisée à décoder dans le contexte de l’époque : les « rois » que l’on souhaiterait « mettre à nu », s’appellent alors Hitler, Mussolini, Staline. Mais la pièce n’a jamais été jouée du vivant de l’auteur, décédé en 1958. Elle a cependant connu depuis un succès mondial, à croire que la figure du tyran capricieux et stupide est de tous les temps.
La mise en scène de Sylvain Maurice, invité du Théâtre du Peuple de Bussang, sert admirablement la fable-farce de Schwartz tout en lui donnant une couleur ou plutôt une palette multicolore. Assisté de Constance Larrieu pour la mise en scène et de Margot Clavières pour la scénographie, il a opté pour une forme ludique, festive, burlesque même. « En déployant une théâtralité spectaculaire, la pièce permet de s’inscrire dans l’histoire de Bussang. Le Théâtre du Peuple – dans sa matérialité – sera le personnage principal de mon projet, en jouant avec ce lieu si unique et singulier. Il y aura donc de la machinerie et peu de décor. La choralité de la pièce et ses nombreux personnages secondaires permettront d’accorder la part belle à la troupe amateur 2025. J’imagine Le Roi nu comme une comédie grinçante, ludique et inventive, à l’adresse de toutes les générations, traduite magistralement par André Marcowicz dans une langue haute en couleur. » nous confie le metteur en scène.
La signification politique de la pièce est évidente, nul besoin de forcer le trait. D’autant que comme toute fable, sa portée est morale, édifier et libérer la critique : « Je n’écris pas un conte pour dissimuler une signification, mais pour dévoiler, pour dire à pleine voix, de toutes mes forces, ce que je pense. » disait Evgueni Schwartz. La leçon est simple et dérangeante, la complaisance et la lâche flatterie qui entourent les puissants contribuent à leur tyrannie. La charge de l’auteur est telle que le roi cynique et narcissique a besoin de s’entourer d’un Ministre des Tendres Sentiments, habilement interprété par Nadine Berland. Une satire d’une actualité confondante !
Sur scène tout s’agite, à commencer par les petits cochons d’Henri qui déboulent de la forêt par la porte coulissante du fond de scène (Cf. « Bussang» sur ce blog : https://cultures.blog.snes.edu/publications-editions-culture/culture/evenements-culturels-festivals-grands-entretiens/bussang-130-ans/). Il faut relever l’inventivité des costumes de Fanny Brouste et Peggy Sturm, les assemblages incongrus de pièces de vêtements produisent des effets spectaculaires et comiques. Henri, le porcher (Mikaël-Don Giancardi) et son ami (Maël Besnard), réapparaissent déguisés en tisserands et montent un stratagème visant à faire porter au monarque un costume que soi-disant seuls les gens intelligents verront et admireront. Abusé par sa suffisance, le tyran se précipite dans le piège et laissent les deux compères l’habiller de fausse intelligence en le déshabillant entièrement ! Le roi dévalant la colline, aussi nu que les cochons du porcher, vient parader mais sa bêtise éclate au grand jour devant la princesse et son père, la cour et le tout le peuple parfaitement interprété par un public complice des farceurs. La scénographie faite de jeux de lumière orchestrés par Rodolphe Martin et de grands escaliers blancs dont les déplacements restructurent habilement l’espace, contribue grandement au rythme de la pièce. Le tout rehaussé par la musique de Laurent Grais et Dayan Korolic, la guitare électrique de l’un et la batterie de l’autre étant logées sur les flancs de la salle, légèrement au-dessus public. Un grand moment de théâtre mettant à l’unisson scène et salle !
Il serait trop long de nommer exhaustivement comédiens et comédiennes, artisans du spectacle et bénévoles qui reçoivent si aimablement le public à l’extérieur de la bâtisse de bois de ce théâtre si bien nommé. Citons pour l’applaudir, la prestation extraordinaire de Manuel Le Lièvre qui interprète le Roi nu. Un acteur aux mille ressources, d’un talent explosif, capable d’un jeu débridé ou caricatural aussi bien que contenu et autoritaire. Il y a quatre ans, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, il était le fou d’un roi shakespearien dans un Roi Lear mis en scène par George Lavaudant. Cette fois, il est un roi fou, emporté par son hubris, désinhibé par l’omnipotence, prêt à toutes les fantaisies si cela peut le mettre au-dessus et à part de ses congénères. Choisi par le père de la Princesse (Hélène Rimenaid) pour en faire son gendre, l’obsession de l’excentricité mène ce roi pathétique à un ridicule rédhibitoire. Manuel Le Lièvre tient le rôle à merveille y compris dans le plus simple appareil ! On rit beaucoup mais d’un rire de connivence intellectuelle avec la pièce et la mise en scène. Un rire qui aide à supporter (un temps seulement) les dirigeants tyranniques d’aujourd’hui. Le final en musique et chanson, digne d’un opéra bouffe, soulève le public qui offre un triomphe à la troupe.
Jean-Pierre Haddad
Théâtre du Peuple Maurice Pottecher, 40 rue du Théâtre du Peuple, 88540 Bussang. Du 19 juillet au 30 août 2025, les jeudis, vendredis, samedis et dimanche à 15h.
Informations et réservations : https://theatredupeuple.com/saison/2025/le-roi-nu
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