Lear est une pièce monstre où l’absurdité des hommes mène au chaos. Tout part de questions de relations entre les pères et leurs enfants. Tout se détraque quand le Roi Lear dit à ses filles que son royaume ira à celle qui déclarera l’aimer le plus. Lear se laisse tromper par les flatteries des deux aînées, Goneril et Regane. La cadette Cordélia, pourtant sa préférée, va payer par l’exil sa réponse honnête et franche, elle l’aime comme un père. La folie du Roi va dès lors entraîner des tragédies en cascades. Comme toujours chez Shakespeare une intrigue secondaire vient se greffer sur la première. Le duc de Gloucester, ami de Lear, bannit son fils aîné Edgar en se laissant abuser par son fils illégitime Edmond, qui prétend qu’Edgar a préparé un complot pour le tuer. Au narcissisme des pères qui, au seuil de la vieillesse, s’accrochent au pouvoir, répond l’avidité des enfants désireux de le prendre et de profiter de leur héritage.
C’est la troisième fois que Georges Lavaudant met en scène cette pièce de Shakespeare. Sur la scène où domine le noir, tout comme dans les costumes des acteurs, sauf Cordelia en robe blanche immaculée, pas de décor ni d’accessoires. Toute la place est donnée aux acteurs et au texte, dans la belle traduction de Daniel Loayza qui respecte l’humour, la force (« tu n’aurais jamais dû être vieux avant d’être sage »), le lyrisme comme la crudité du langage shakespearien. Seule la scène de bataille révèle le chaos qui s’est installé avec les flash de lumières stroboscopiques laissant entrevoir des corps qui s’entrechoquent tandis que des flots de vêtements tombent des cintres tels des cadavres.
Pour cette mise en scène Georges Lavaudant s’est entouré d’une troupe d’acteurs formidables. Jacques Weber est un Lear, éructant (un peu trop parfois) autoritaire et narcissique, un peu perdu comme un enfant quelquefois. Il s’enfonce dans une folie de plus en plus ostensible jusqu’à ce retour à lui-même devant sa fille, interprétée par Bénédicte Guilbert qui, sous un aspect plein de douceur, fait de Cordelia une femme droite et forte. Grace Seri campe une Régane sans pitié, monstre d’ambition et de cruauté. Tout à l’inverse de Jacques Weber, François Marthouret incarne avec simplicité et sobriété Gloucester, lui aussi père abusé, que son fils livre à ses ennemis pour qu’ils le supplicient. Tandis que Thibault Vinçon incarne un Edgar émouvant, qui joue la folie pour sauver le Roi et son père, Laurent Papot fait d’Edmond un monstre de fourberie et de perfidie que ses calculs finiront par perdre. Enfin dans cette pièce où la folie règne, il y a le vrai Fou du Roi, Manuel Le Lièvre. Lui ose dire au Roi qu’il est fou. Se cachant à peine pour sortir ses insolences ou chantant en se trémoussant à la manière d’un rocker, il emporte les rires de la salle dans cet océan de noirceur.
Une mise en scène et une interprétation qui a ravi le public, jeunes et adultes confondus.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 28 novembre au Théâtre de la Porte Saint-Martin (Théâtre de le Ville hors les murs), 18 boulevard Saint-Martin, 75010 Paris – du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 15h – Réservations : theatredelaville-paris.com ou 01 42 74 22 77 – Le 7 décembre au Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul – Tournée en 2022-2023
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