Émilie Frèche reconstitue, jour par jour, les dix jours qui ont précédé l’assassinat de Samuel Paty. Pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet, dans le respect du programme sur la liberté d’expression, en les informant et en donnant à ceux qui seraient choqués la possibilité de sortir quelques minutes, ce professeur d’histoire s’est trouvé pris dans un engrenage qui a conduit un terroriste à l’assassiner. Un père d’une élève, qui n’était même pas au cours et a menti pour couvrir son absence, un imam radical qui s’empare de l’affaire en travestissant la vérité et en livrant le nom et l’adresse du professeur, les réseaux sociaux qui s’enflamment, la principale et certains professeurs qui le soutiennent mollement pour éviter les vagues ou pire encore, les instances académiques qui se noient dans la bureaucratie, des collégiens qui vendent l’information, toutes les petites médiocrités et les grandes lâchetés ont été à l’œuvre pour offrir au terroriste la possibilité d’assassiner l’enseignant.
En reconstituant toute la mécanique qui y a conduit, Émilie Frèche a souhaité redonner à Samuel Paty sa voix, ses émotions d’homme abandonné à sa solitude par la lâcheté des uns et des autres et celle d’une institution que la prudence a conduit à la pusillanimité. C’est Carole Bouquet qui offre sa voix à tous les protagonistes de l’affaire, leurs silences, leurs dérobades et à celle, digne, de Samuel Paty, qui essaie de dire avec calme la vérité, de faire entendre sa voix, sa peur devant une situation qu’il voit s’emballer au-delà de toute raison. Murielle Mayette-Holtz la place devant un pupitre, texte en main comme un témoin et non l’incarnation du professeur.
En assassinant un professeur, le terroriste, encouragé par les réseaux sociaux et un imam en mal de notoriété, s’attaquait expressément à l’École, en tant qu’institution au fondement de l’éducation et de la démocratie. En ne rétablissant pas haut et fort la parole de l’enseignant, en ne comprenant pas ce qui se jouait, l’institution et ses représentants l’ont abandonné.
Un spectacle intelligent avec une comédienne exceptionnelle, qui donne toute sa dignité et son humanité à Samuel Paty et invite à la vigilance.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 14 décembre au Théâtre La Scala, 13 bld de Strasbourg, 75010 Paris – Du mercredi au samedi à 19h, le dimanche à 15h – Réservations : 01 40 03 44 30 ou https://lascala-paris.fr
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