Après Ithaque , Christiane Jatahy continue à voyager dans l’Odyssée pour y trouver ce que ce poème vieux de 3000 ans nous dit du monde où nous vivons. Nous avions été peu convaincus par Ithaque où l’artiste cherchait un écho du voyage d’Ulysse dans celui des migrants aujourd’hui. Or eux fuyaient la guerre et la misère tandis qu’Ulysse lui était parti en guerre et c’était la malédiction de Poséidon qui l’avait condamné à errer sur les mers pendant dix années avant de pouvoir rejoindre son île.

Théâtre : Le présent qui déborde
Théâtre : Le présent qui déborde

Cette fois, toujours à la recherche d’Ulysse, l’artiste brésilienne a parcouru le monde, des camps de réfugiés palestiniens du Liban à la Grèce, de Johannesburg à la forêt amazonienne. Elle a entraîné des hommes, des femmes et des enfants dans le texte d’Homère comme un écho à leur propre histoire, du Cyclope, comme rappel de la sauvagerie de la guerre, à l’épisode des Sirènes ou de Charybde et Scylla parfaits symboles des dangers du voyage. Elle les a filmés et, sur l’écran, leur image interfère avec ceux qu’elle filme dans la salle. Les acteurs ne sont pas sur scène, mais dispersés au milieu des spectateurs.Ils leur parlent, les invitent à chanter et à danser avec eux. Ils parlent de la guerre, des arrestations arbitraires qui les ont fait partir mais ils disent surtout la douceur du pays, la nostalgie de la patrie d’autant plus forte qu’on leur rappelle chaque jour qu’ils sont étrangers. Ils disent la douleur d’être loin des siens, de sa famille. Une jeune fille refuse d’attendre comme Pénélope et à l’instar de Télémaque part à la recherche de son père, se fait arrêter dès la frontière franchie et se retrouve plongée dans un univers kafkaïen où on lui parle sans cesse de sa libération prochaine en la baladant d’une geôle à l’autre. Les voix se mêlent, Congo, Maroc, Palestine, Syrie, Brésil et interrogent : comment aller de l’avant quand on a tout perdu ? Le français s’allie à l’arabe, au portugais et à l’anglais. Et c’est en Amazonie, dans un pays où les hommes n’ont jamais vu la mer, que l’on rejoint la prophétie de Tiresias de la fin de l’Odyssée. L’histoire y trouve son terme auprès de Raoni le chef Kayapo qui, avec une grande dignité, dénonce ce que les hommes sont en train de faire de sa patrie, l’Amazonie brésilienne, dévastée par l’avidité des hommes comme Ithaque l’était par les prétendants.

Christiane Jatahy vient conclure, faisant le lien avec sa propre histoire, et l’émotion dans la salle est très forte. On entend le bruit de la pluie dans la forêt crée par les spectateurs qui frappent leur bras de deux doigts et c’est magique. On sort de la salle en pensant à tous ces gens dont on a volé les plus belles années et c’est poignant.

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h

Le Centquatre

5 rue Curial, 75019 Paris

Réservations : 01 53 35 50 00


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