Qui connaît Kateb Yacine en France aujourd’hui ? Qui se souvient de sa mort en 1989 sur le sol français ? En pleine offensive réactionnaire contre la critique du colonialisme et en pleine xénophobie dirigée vers les magrébins vivant parmi nous, il faut saluer l’audace du metteur en scène Kheireddine Lardjam qui nous parle d’un ton puissant et déterminé de la vie et des idées d’un poète algérien errant entre Maghreb et Europe. Kateb Yacine est une figure symbolique représentative des tiraillements des intellectuels colonisés ayant recours à la langue du colonisateur pour crier leur révolte mais aussi pour faire œuvre d’écrivain. « La francophonie est une machine politique néocoloniale, qui ne fait que perpétuer notre aliénation, mais l’usage de la langue française ne signifie pas qu’on soit l’agent d’une puissance étrangère, et j’écris en français pour dire aux Français que je ne suis pas français. » disait-il en 1966. Cette tension, il l’exprime dès 1947 lors de son arrivée à Paris par une métaphore : « dans la gueule du loup ». Mais, à peine ses valises posées, il prononce une conférence en hommage à Abdelkader et adhère au Parti communiste algérien, histoire de ne pas se faire entièrement dévorer. 
Dans la nudité et la rusticité du plateau du Lavoir Moderne Parisien, la mise en scène dépouillée du Poète comme boxeur, recueil d’entretiens sur trente années, nous offre le spectacle d’un dialogue entre récits poignants et chants percutants. Ça cogne dur mais le combat est beau. Dans la salle, ambiance de grands matchs. Le comédien Azeddine Benamara met son corps imposant, sa voix grave et chaude et sa barbe noire au service de l’âme tendre et révoltée de Kateb Yacine, avec ce qu’il faut de saveurs méditerranéennes dans le jeu. Humour mais aussi tragédie d’un « jardin au milieu des flammes », autre image de la situation complexe et risquée du poète. Comment combattre l’envahisseur sans mettre son propre pays à feu et à sang ? Comment ne pas brûler dans le grand incendie qu’il faut alimenter pour fertiliser une terre asphyxiée, pillée, martyrisée ? Aux mots de l’écrivain, viennent s’ajouter en écho les chants de Larbi Bestam, leader du groupe algérien Ferda de Knadsa. De sa voix puissante, le chanteur accompagné d’un oud fait résonner en arabe ou en français la condition humaine et sa résistance des monts de l’Atlas au désert du Sahara.
A quelques semaines du troisième anniversaire du Hirak algérien, mouvement populaire et pacifique pour l’État de droit, la justice et la démocratie, Kheireddine Lardjam nous propose de (re)découvrir l’auteur de Nedjma (1956), roman allégorique qui portait déjà très haut l’espérance d’une Algérie émancipée.
Merci !
 
Jean-Pierre Haddad

Au lavoir Moderne Parisien, 35 rue Léon, Paris 75018. Jusqu’au 23 janvier. Prévu à Avignon en 2022.   


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