Chen a trois ans lorsque débute la Révolution culturelle. Il grandit en Chine, fait les Beaux arts à Pékin, quitte clandestinement la Chine et s’installe en France en 1987 à 24 ans. Il se souvient, dessine son quotidien, les livres brûlés remplacés par le petit Livre Rouge, les photos que l’on fait disparaître pour éviter une arrestation, la robe de soie que l’on cache, les brutalités des gardes rouges, la mort de son grand-père, sa voisine arrêtée qui disparaît, son père envoyé travailler près de la frontière russe. Tout cela il le raconte à hauteur d’enfant, avec pudeur, sans pathos et surtout il le dessine.
Le metteur en scène François Orsoni avait présenté en 2008 un spectacle inspiré par les textes de Chen Jiang Hong. Une complicité s’est installée entre eux et a conduit à ce spectacle inspiré du livre-album Mao et moi. Le texte ne s’intéresse qu’à l’enfance de Chen, un enfant qui grandit alors que la folie maoïste envahit la vie de toute la population chinoise, enfants compris. La belle idée de François Orsoni a été de faire entendre le récit de l’enfant en y intégrant les dessins de l’adulte qu’il est devenu, en montrant ses dessins à l’encre de chine en train de se faire. Chen Jiang Hong, devenu un peintre dont des œuvres figurent dans des musées, est installé à un bout de la scène, pinceau en main, comme dans sa maison, et sur le grand écran occupant le fond de scène on voit le dessin qu’il trace. Partant d’un détail, le dessin progresse peu à peu : les lignes électriques, la maison où il habitait, la poule qu’élevait sa grand-mère et le chat, les oiseaux de son grand-père et de ses amis qu’ils sortaient avec leur cage pour les faire chanter, les beaux yeux en amande puis la coiffure raffinée de l’élégante voisine qui lui offrait des bonbons. Parfois sa main et son pinceau sont même visibles sur l’écran. Alban Guyon dit les mots de l’enfant racontant de façon très concrète ce qu’il vit. Une bande son recrée les bruits du quotidien, le chant des oiseaux, les disputes en chinois, les chants révolutionnaires, Mozart que lui a fait découvrir sa belle voisine, les pétards, le bruit du train qui emporte son père banni de Pékin.
Deux danseuses, Lili Chen et Namkyung Kim, complètent cette belle harmonie entre texte et musique. Tenue et chorégraphie des danses traditionnelles laissent place aux opéras révolutionnaires avec les danseuses faisant voler de grands drapeaux rouges sur fond de soleil rouge avec un Mao souriant casquette sur la tête.
C’est l’enfance qui est racontée, vue avec les yeux d’un enfant qui enregistre mais ne commente pas. Son départ de jeune adulte est juste évoqué en une phrase. À nous d’imaginer le voyage, mais l’émotion est à son comble lorsque l’adulte qu’il est devenu murmure « pardon » à l’oreille de son père mourant. En une phrase tout le drame de l’exil s’est invité sur la scène.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 18 juin au Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin Roosevelt, 75008 Paris – à 19h30, les samedis à 16h et 19h30, les dimanches à 11h, relâches les lundis et jeudis – Réservations : 01 44 95 98 21 ou theatredurondpoint.fr
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