C’est l’ultime pièce de Jean-Luc Lagarce mort à 38 ans, en 1995, quelques jours après l’avoir terminée. On y retrouve le thème du retour de l’enfant prodigue parmi les siens. Louis revient, au pays lointain de son enfance et de sa jeunesse, dans sa famille qu’il a laissée il y a longtemps. Il revient pour solder les comptes et dire qu’il va mourir bientôt du Sida. Mais au-delà de sa famille biologique, Louis emporte aussi la « famille » qu’il a choisie, ses amis et ses amants vivants ou morts. Fuyant devant les chagrins et les regrets, Louis n’a jamais vraiment parlé. Il s’est contenté d’envoyer de vagues cartes postales n’indiquant que les lieux où il se trouvait, ouvertes aux yeux de tous, ce que lui reproche sa sœur. Aux questions posées il s’est limité à répondre par des sourires en coin. Il est venu pour dire enfin, mais il ne le fera pas. Il écoute les membres de sa famille, sa sœur qui aurait voulu qu’il soit plus proche d’elle, son frère maladroit qui a eu l’impression d’être le moins aimé, sa mère qui veut éviter de parler de tout cela, son père mort. Mais à ses côtés il y a aussi ceux qu’il appelle « Longue date », l’ami fidèle qui l’a toujours protégé avec sa compagne Hélène, « L’amant mort déjà », à qui il avait dit qu’il était le préféré, « Un garçon » et « Le guerrier » qui personnalisent tous les autres, les dragues d’un soir et la cohorte des amours passagères.
Spectacle de la promotion 5 (2015-2018) de L’École du Nord, le projet a été pensé pour quatorze jeunes comédiens et deux jeunes auteurs à qui Christophe Rauck a confié l’adaptation. Ils ont intégré au Pays lointain des extraits de trois autres textes de Jean-Luc Lagarce. Ce faisant ils ont ajouté trois personnages, donnant ainsi un rôle aux quatorze comédiens de la promotion. Une seconde sœur, l’aînée, présente dans J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne , le personnage de Madame Tschissik de Nous les héros qui regarde les événements et enfin le dramaturge lui-même à travers des extraits de son journal intime. Christophe Rauck a souhaité mêler deux jeunes auteurs, sous le regard de Christophe Pellet, au groupe des quatorze jeunes comédiens. Le plateau fourmille, des panneaux mobiles permettent de laisser imaginer d’autres pièces de la maison assistés par l’utilisation discrète d’images vidéo (création de Carlos Franklin, de l’école du Frenoy).
La pièce commence avec les acteurs au travail, dans le noir, s’éclairant à la lampe de poche comme s’ils cherchaient la relation à l’autre et des appuis de jeu concrets. Puis la langue de Lagarce se déploie dans la bouche et dans les gestes de ces jeunes acteurs, baroque, poétique, écorchée, comme écrite pour eux. La présence des amis et des amants morts permet de naviguer dans le temps, le temps présent, le temps qui a disparu, le temps rêvé aussi. La pièce offre des monologues qui permettent à chacun des jeunes comédiens d’exprimer ses qualités. En solo ou dans les dialogues, ils font ressentir le caractère tragique de la pièce tout en y introduisant une dose d’humour qui casse un peu l’atmosphère poignante. Ils sont excellents et prêts à partir pour la carrière qui les attend.
Micheline Rousselet
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