En 1942 est publié Le mythe de Sisyphe d’Albert Camus en même temps que L’étranger. L’essai et le roman s’inscrivent dans ce que l’auteur nomme le cycle de l’absurde. L’homme prend conscience de la vanité de sa recherche de sens et de clarté dans un monde inintelligible, dépourvu de Dieu et par conséquent de vérités et de valeurs éternelles.

C’est la première fois que cet essai est porté à la scène. Dans l’adaptation qu’en fait Pierre Martot chaque phrase est de Camus. On retrouve la progression de sa pensée que l’on peut rappeler ici. Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux, juger si la vie vaut, ou ne vaut pas, d’être vécue. L’absurde vient de ce qu’une grande partie de la vie est construite sur l’espoir de demain, mais celui-ci est notre pire ennemi puisqu’il nous rapproche de l’ennemi ultime, la mort. Ce n’est pas le monde en lui-même qui est absurde, l’absurde naît de la confrontation entre l’appel à la clarté, qui résonne au plus profond de l’homme, et « le silence déraisonnable d’un monde irrationnel ». Mais cet état de l’absurde, il s’agit d’y vivre. On peut se résigner au consentement, en choisissant le suicide, ou choisir la révolte, seul moyen de vivre sa vie dans un monde absurde. La joie absurde est dans la création et Camus prend l’exemple du théâtre et de l’acteur qui ne s’exprime que dans l’apparence illustrant tous les jours l’adage « le paraître fait l’être ». Il s’intéresse ensuite au mythe de Sisyphe condamné par les Dieux à pousser inlassablement un rocher vers le sommet de la montagne, d’où il retombe inéluctablement, obligeant Sisyphe à recommencer. Avoir conscience de sa défaite inéluctable est déjà une révolte, une révolution contre les Dieux. La lutte vers le sommet suffit à remplir son cœur et dit Camus « on peut imaginer un Sisyphe heureux ».

Pierre Martot, seul sur le plateau nu, dit ce texte. Presque toujours il marche, car la pensée est dans le mouvement. Seuls les éclairages (Jean-Claude Fall) le conduisent de l’ombre à la lumière. Il semble parfois tourner son regard vers un ciel étoilé mais vide. Sa voix porte la pensée complexe de Camus mais aussi la chaleur du texte. La difficulté pour le spectateur vient de ce que, à la différence de la lecture, ici il ne peut pas revenir en arrière, le flot du texte avance. On a un peu de mal avec la première partie plus abstraite, mais la seconde partie sur le théâtre et l’acteur et sur le mythe de Sisyphe réactive la réflexion et donne envie de se replonger dans le texte.

Un pari culotté et plutôt réussi.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 29 octobre au Lavoir Moderne Parisien, 35 rue Léon, 75018 Paris – du mercredi au samedi à 19h, le dimanche à 15h – Réservations : 01 46 06 08 05 ou lavoirmoderneparisien.com – le 25 novembre au Moulin d’Andé


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