Quand Molière crée Le Misanthrope en 1666, à travers Alceste, celui qui ne veut pas mentir et qui prône la franchise même si elle blesse, il s’attaque à l’hypocrisie qui règne à la cour, aux faux-semblants, à la société du paraître de son époque où chacun joue un rôle pour plaire au roi, pour se faire remarquer. Quand le metteur en scène, Thomas Douarec, décide de mettre en scène cette comédie qui a été jouée de si nombreuses fois, il se demande à juste titre : pourquoi remonter cette pièce pour la énième fois ? Que puis-je apporter de plus à cette pièce ? Et si l’auteur était encore vivant, comment écrirait-il cette pièce ? Comment dénoncerait-il notre monde contemporain ? Ce sont en effet les questions à se poser non pas pour tomber dans une modernisation facile, tape à l’œil, démagogique qui dénature le texte mais au contraire pour montrer que les problèmes posés par Molière sont intemporels et que dans notre société très éloignée de la sienne on retrouve les mêmes travers. Mais que choisir ? Thomas Douarec a eu l’excellente idée de transposer ce Misanthrope dans le monde des vidéos, des selfies postés sur les réseaux sociaux pour être connus, admirés, suivis, likés par le plus grand nombre. Que ce soit à la cour de Louis XIV ou au XXIème, on retrouve la même frivolité, le même souci permanent de l’apparence, le même désir narcissique de plaire, de séduire.

Dès l’ouverture, dans un décor contemporain très design de David Lionne et de Jérôme Lebertre (bâtons lumineux fluorescents, fauteuils en latex, table basse, bouteilles d’alcool qui traînent), nous sommes plongés dans le monde d’une fête comme dans une boîte de nuit. Célimène, reine de la soirée, danse au milieu de ses amis sur une musique électro. Seul Alceste reste à l’écart. En fond de scène sont projetées les images de cette soirée que les participants partagent sur les réseaux sociaux. Ce parti pris de modernité va irriguer avec bonheur toute la pièce. De plus, la diction parfaite des alexandrins par les comédiens nous fait entendre la modernité du texte dont on découvre à chaque écoute de nouvelles facettes.

La direction d’acteurs est aussi au cordeau. Jean- Charles Chagachbanian campe un Alceste déchiré entre son désir absolu de sincérité et son amour passionnel pour Célimène. Jeanne Pajon ne joue pas une Célimène capricieuse, comme c’est souvent le cas, mais une jeune femme avide de liberté et de bonheur qui est la victime du monde superficiel de son époque. Philippe Maymat est un Philinte sombre qui partage les tourments de son ami Alceste mais qui ne renonce pas à la vie en société ; Justine Vultaggio est une Eliante touchante qui aime Alceste mais va choisir Philinte. Caroline Devismes, perchée sur ses talons hauts, robe décolletée et croix, joue une Arsinoé fascinante de rouerie et de perversité. Quant aux deux petits marquis, Acaste et Clitandre, avec leur téléphone portable pendu autour de leur cou, ils sont ridicules à souhait. Et le metteur en scène, Thomas Douarec, en Oronte totalement déjanté nous ravit.

Courez voir ce Misanthrope endiablé qui allie comique et réflexion. N’hésitez pas à y amener vos enfants et vos élèves qui vont l’adorer.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 23 juin, du jeudi au samedi à 21h dimanche à 16h30 – Théâtre de l’Epée de Bois, Cartoucherie, Route du Champ de Manoeuvre, Paris 12ème – Réservation : 01 48 08 39 74 ou www.epeedebois.com – Du 3 au 21 juillet à 15h50 au Festival off Avignon, théâtre des Lucioles

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