Dorante, qui vient de finir ses études à Poitiers, se rend dès son arrivée à Paris au Jardin du Luxembourg bien résolu à profiter des plaisirs parisiens. Il y rencontre deux jeunes coquettes et se lance dans une cour assidue à l’une d’elles, s’inventant une carrière militaire, sous le regard ébahi de son laquais. Se lançant sans vergogne dans une cascade vertigineuse de mensonges, où l’un entraîne l’autre pour se sortir du premier, il oublie l’amitié, l’amour et l’honneur. Mentant aux deux belles, à son ami, à son père il s’enferre dans d’irrésistibles quiproquos. Comme il a confondu les prénoms des deux belles et qu’elles ne sont pas non plus en reste de supercheries, on entre dans un jeu de dupes dont on se demande qui sortira vainqueur. 

Corneille en 1644, après le triomphe du Cid et son succès dans la tragédie, revient à la comédie en adaptant une pièce espagnole d’Alarcón, La verdad sospechosa, qu’il attribue à Lope de Vega, dans son épître dédicatoire (erreur ou mensonge en abyme ?). Il en garde le personnage central, qu’il place dans les lieux parisiens à la mode et lui donne les traits d’un provincial vantard, incarnation de la duplicité et du mensonge avec un tel brio, qu’à l’image de son valet, on reste ébloui par tant de talent ! Il y glisse même quelques vers parodiant Le Cid « Ô vieillesse facile ô jeunesse impudente » !

Marion Bierry, qui dit que Corneille l’a toujours divertie et réjouie par son impertinence et sa liberté, adapte et met en scène la pièce. La relisant pendant le confinement, elle y a soudain entendu un Paris tout en bal et en musique, joyeux et un peu amoral, qui lui a évoqué l’atmosphère insouciante suivant la fin de la Révolution. C’est donc en costume directoire qu’elle habille les personnages. Dans un désir très cornélien – si l’on pense à L’Illusion comique en particulier – de jouer avec le théâtre, Marion Bierry a glissé au début et à la fin du spectacle un court extrait de La suite du menteur que Corneille écrivit l’année suivante. Par ailleurs emportée par ce vent de liberté, elle a resserré la pièce sur les personnages principaux, ce qui rend la pièce plus lisible et lui donne un rythme plus rapide. Les personnages glissent d’un bord à l’autre de la scène, entrent par une porte pour sortir aussitôt par une autre, leur visage apparaît dans une petite fenêtre ou un cadre comme celui d’un observateur, qui tente d’y voir clair dans cet imbroglio où se mêlent mensonge et libertinage. Enfin la metteuse en scène a semé dans la pièce quelques bribes de chansons, habiles contrepoints aux dialogues.

Elle a aussi su choisir des acteurs parfaits. Alexandre Bierry a la verve de la jeunesse et son côté hâbleur. Ses mensonges et ses inventions deviennent enchantement. Le spectateur se sent emporté dans une conversation séductrice et enjouée et en oublie presque que tout ceci est écrit en vers ! Anne-Sophie Nallino en Clarisse et Mathilde Riey en Lucrèce sont parfaites en coquettes, mais pas trop, juste raisonnables face aux inventions de plus en plus extravagantes de Dorante. Brice Hillairet incarne Alcippe, l’ami franc et naïf, qui croit si aveuglément les narrations imaginaires de Dorante qu’il en semble benêt, mais que le hasard finira par mener là où il veut aller ! Serge Noël campe le père de Dorante qui tente de sauvegarder un peu de morale et de respect de la parole donnée, face à ce fils qu’il aime, mais dont la conduite le déroute totalement. Enfin Benjamin Boyer (en alternance avec Thierry Lavat) est un formidable Cliton, valet fidèle de Dorante, tantôt sidéré par ses vantardises et tantôt ulcéré devant si peu de raison et de morale.

Un spectacle où la vivacité de l’intrigue et des dialogues, le brillant de la mise en scène et le talent des acteurs enchantent le spectateur.

Micheline Rousselet

Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 bd du Montparnasse, 75006 Paris – du mardi au samedi à 21h, dimanche à 15h – Réservations : 01 45 44 50 21 /

www.theatredepoche-montparnasse.com

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