Des trois versions du Mariage forcé de Molière qui nous sont parvenues, c’est celle de 1668, en un acte et sans l’ornement de la musique et de la danse, qu’a retenue le Studio de la Comédie Française.

Molière y traitait sous la forme d’un divertissement un des thèmes alors à la mode, le mariage, en s’inspirant du Tiers Livre de Rabelais où l’on s’interrogeait pour savoir si Pantagruel faisait bien de se marier alors que cet état l’exposait au cocuage.

Dans cette « petite comédie en un acte », Sganarelle s’apprête à convoler pour la première fois, alors qu’il a cinquante-trois ans, âge dont il fait semblant de ne plus se souvenir. La promise Dorimène lui semble avoir toutes les vertus qu’il en attend, mais il a un doute. Il demande conseil à son ami Geronimo, lequel esquivant une réponse claire, le renvoie à deux philosophes qui lui donneront des avis contradictoires puis à des bohémiennes qui se riront de lui et lui feront les poches. Au comble de l’indécision, il surprend un dialogue entre Dorimène et son amant où elle lui explique tous les avantages qu’ils tireront de ce mariage. Décidé à se rétracter, Sganarelle s’en ouvre à son futur beau-père qui ne l’entend pas de cette oreille. Menacé de mourir sous les coups d’épée de son futur beau-frère et trop pleutre pour se battre, il ne reste plus à Sganarelle qu’à se résigner à ce mariage qui fera son malheur.

Soucieux de rendre un hommage au Molière de la Commedia dell’arte et à son art de nous faire rire aux larmes, Eric Ruf a eu l’idée de confier la mise en scène de ce mariage forcé à Louis Arene, ancien pensionnaire de la Comédie Française, qu’il admirait pour son art d’utiliser des masques. Celui-ci nous plonge donc dans ce cauchemar horrifique que vit Sganarelle. Dès le début le pauvre ne sait plus dans quelle pièce de Molière il se trouve, cherchant un petit morceau de vers dans l’École des femmes, dans le Misanthrope ou dans Les fourberies de Scapin. Il en perd sa perruque qui disparaît dans le mur. La scénographie d’Eric Ruf le place dans une boîte blanche avec un sol incliné où il semble enfermé dans un déséquilibre permanent, tandis que les murs ne s’entr’ouvrent que pour laisser entrer ceux qui seront ses bourreaux. Masques (créés par Louis Arene), costumes sortis de l’imagination délirante de Colombe Lauriot Prévost et inversion des genres vont faire une farce cruelle de ce qui aurait pu n’être qu’une pochade.

De vieux barbon libidineux semblant uniquement préoccupé du souci de ne pas être cocu, Sganarelle (formidable Julie Sicard) se mue en papillon de nuit affolé cherchant désespérément à s’échapper lorsqu’il comprend le gouffre dans lequel va le précipiter ce mariage. Face à lui (elle !), la haute taille de Christian Hecq joue de l’inversion des genres. Loin de l’épouse docile imaginée par Sganarelle, il joue une Dorimène prédatrice qui expose clairement ce qu’elle attend de ce mariage, être riche, libre et veuve rapidement pour mener la vie qu’elle a choisie. Finalement ce n’est plus Dorimène qui subit le mariage, c’est Sganarelle. A leurs côtés, Sylvia Bergé, Benjamin Lavernhe et Gaël Kamilindi interprètent aussi bien les hommes que les femmes et usent de leurs masques pour susciter inquiétudes et rires.

Sous couvert de burlesque, c’est à une sérieuse entreprise de démolition du patriarcat que nous assistons !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 3 juillet à 18h30 au Studio de la Comédie Française (jours à vérifier sur le site du théâtre) – Galerie du Carrousel du Louvre, Place de la Pyramide inversée, 99 rue de Rivoli, 75001 Paris

Réservations : www.comedie-francaise.fr

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