Bassanio, jeune noble vénitien à court d’argent demande à son ami Antonio, riche marchand de la Sérénissime, de lui prêter trois mille ducats afin de se rendre auprès de la belle Porcia, riche héritière dont il est amoureux et qu’il souhaite épouser. Antonio ne dispose pas de cette somme sur-le-champ car sa fortune est engagée sur les mers. En attendant le retour de ses bateaux, il s’adresse à Shylock, un usurier juif qu’il méprise, pour les lui emprunter. Celui-ci renonce à demander un intérêt pour le prêt, mais exige, en cas de non-paiement, une livre de la chair du débiteur.
Cette pièce de Shakespeare, écrite en 1596, est beaucoup moins représentée que les autres comédies romantiques avec lesquelles elle est classée. Elle est souvent considérée comme une « pièce à problèmes ». Certains ont soupçonné Shakespeare d’antisémitisme tant le portrait de Shylock est peu flatteur et tant le contrat qu’il impose à Antonio est monstrueux. Mais chacun des deux a sa part d’ombre. Antonio, arrogant, foule aux pieds avec le plus grand mépris Shylock, enfermant celui-ci dans la rancœur et le désir de vengeance.
Ned Grujic, le metteur en scène a choisi de mettre en lumière quelques aspects de la pièce de Shakespeare en la réduisant à une heure quinze. Au cœur de la représentation, l’opposition d’une rare violence entre Shylock et Antonio sur fond d’intolérance religieuse, mais aussi l’importance de l’amitié et de l’amour et le conflit qui peut en résulter. Dans cette « comédie » apparaît aussi un beau portrait de femme qui use de toute son intelligence pour pouvoir choisir l’homme qu’elle aime et pour sauver son ami.
Venise est le théâtre de ces passions humaines, de cette histoire de vengeance. Dans cette ville qui ne vit que du commerce, le respect du contrat est le garant de la réputation de la cité et même le pouvoir politique ne peut aller à l’encontre d’un engagement. L’eau y est omniprésente et sur la scène ce sont des aquariums, des ponts de carton-pâte et des petits bateaux en papier, comme en plient les enfants, qui viennent apporter une vision à la fois poétique et humoristique nous rappelant que nous sommes au théâtre. Quelques masques apparaissent et nous sommes en plein carnaval.
Julia Picquet est une Porcia qui, par le jeu de ses regards et de ses déplacements, réussit astucieusement à mener Bassanio (Antoine Théry tout en fougue juvénile) à choisir le coffret qui lui permettra d’obtenir sa main. Elle excelle aussi déguisée en avocat à déployer toutes les ruses et les finesses qui permettront à la justice de sortir Antonio de la situation où il est enfermé. Il faut surtout saluer la prestation de Rémy Rutovic en Shylock. Il sait être persuasif dans son plaidoyer rappelant qu’un Juif est un homme comme tout Chrétien, combatif quand il rappelle à Antonio à quel point celui-ci l’a humilié et méprisé, lui et toute « sa nation », inquiétant dans sa haine et son désir de vengeance quand il exige sa livre de chair. Il devient émouvant quand vaincu, dépouillé de tous ses biens, il enlève son châle de prières et sa kippa et sur un chant liturgique se dévêt pour entrer dans le bassin qui marquera sa conversion forcée. On est alors bien loin de la comédie, mais Shakespeare nous a habitués depuis longtemps à déjouer les classements.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 17h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 57 34
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