Près de vingt-cinq ans après sa création au TNB de Lorient, Arthur Nauzyciel reprend ce qui fut sa première mise en scène. Sur le plateau arrive un homme toussant, la voix étouffée tentant de dresser la liste des remèdes à ses maux, les comptant interminablement. On devrait rire, mais le rire a disparu. On sent bien que ce n’est pas l’habituel Argan du Malade imaginaire que l’on a devant les yeux mais Molière lui-même, un Molière dont on sait qu’il mourra, probablement d’une rupture d’anévrisme, à la quatrième représentation de la pièce. A travers des panneaux de lin blanc apparaissent, comme surgissant de la mémoire, les personnages de la pièce de Molière emperruqués. Tandis qu’ils commencent à jouer, Molière ne tarde pas à monter dans les gradins du théâtre pour s’asseoir au milieu de la salle, les observant d’un œil acerbe.

Dans cette vision, où le comique de la pièce s’estompe déjà très largement dans un climat où la mort semble attendre son heure prochaine, Arthur Nauzyciel intercale un fragment du Silence de Molière, un texte du dix-septiémiste italien Giovanni Macchia qui va accentuer l’humeur noire de ce Malade imaginaire. S’appuyant sur des travaux historiques de recherche, celui-ci avait écrit une sorte de confession d’Esprit-Madeleine, la seule fille de Molière. Dans Le malade imaginaire, Molière avait écrit pour elle un petit rôle, celui de Louison la sœur effrontée d’Angélique, qu’elle refusa obstinément d’endosser. Cette discussion entre Argan et Louison, souvent occultée par les metteurs en scène, qui la jugent inutile sur le plan dramatique, devient ici un dialogue entre Esprit-Madeleine et Molière où celle-ci règle ses comptes avec son père. Les disputes entre ses parents, les pamphlets l’accusant d’être la fille issue d’un inceste ont hanté sa jeunesse et l’ont conduite à choisir d’entrer au couvent, refusant d’entrer dans la lignée théâtrale que son père lui destinait.

Arthur Nauzyciel considère Le malade imaginaire comme une pièce testamentaire, ce qui explique son choix d’y insérer le texte de Giovanni Macchia. On trouve dans son adaptation les acteurs et actrices qui vont accompagner Molière jusqu’à sa mort prochaine et la phrase que dit Argan à Angélique, « tu es mon vrai sang, ma véritable fille », sonne comme l’inquiétude de Molière sur la postérité de son illustre théâtre, dont le refus d’Esprit-Madeleine d’entrer dans la lignée théâtrale sonne le glas, et qu’acte ici Molière en disant « Il n’y a plus d’enfant, en vérité je n’en ai plus ».

Comme en écho, Arthur Nauzyciel fait de cette mise en scène le souvenir de sa création et le passage de témoin à une nouvelle génération. La beauté des lumières est toujours l’œuvre de Marie Christine Soma tout comme celle des costumes dûs à Claude Chestier et Pascale Robin. Laurent Poitrenaux, brillant dans le rôle de Molière-Argan, était déjà présent à la représentation de 1999, tout comme Catherine Vuillez qui incarne une Esprit-Madeleine frémissante de colère, puis presqu’enfantine quand elle grimpe dans les gradins pour le rejoindre. Arthur Nauzyciel, qui incarnait Thomas Diafoirus en 1999, reprend cette fois le rôle de Diafoirus père qu’incarnait alors son propre père. Les autres rôles sont confiés aux jeunes comédiens de la promotion 10 de l’École du TNB, la première dont lui et Laurent Poitrenaux ont eu la responsabilité. Si tous sont prêtes à prendre le relais, Raphaëlle Rousseau brille vraiment en Toinette.

Un malade imaginaire aux accents plus graves que comiques.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 9 février au Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, 92022 Nanterre – Mardi, mercredi à 19h30, jeudi, vendredi à 20h30, samedi à 18h, dimanche à 15h – Réservations : nanterre-amandiers.com ou 01 46 14 70 00 – Tournée : le 21 février à la Maison de la Culture de Bourges, le 13 et le 14 mars à la Comédie de Caen, du 3 au 5 avril à Points Communs à Cergy, le 11 et le 12 avril au Bateau Feu à Dunkerque

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