Célestine, jeune domestique venue de Paris, raconte son arrivée en Normandie pour travailler auprès des Lanlaire au Prieuré. Célestine a déjà connu une expérience en province auprès d’un vieil homme, que son fétichisme pour les bottines de la jeune bonne a conduit à la crise cardiaque, peu de temps après son arrivée. Elle découvre chez les Lanlaire une maîtresse de maison hautaine, dédaigneuse, puritaine, maniaque de la propreté et de l’ordre, et les avances de son mari frustré. D’une lucidité impitoyable elle observe l’hypocrisie de cette famille qui « cache ses saletés sous les tapis » et elle commente. Elle est aussi fascinée par un des domestiques Joseph. Il l’attire sexuellement, pourtant elle n’ignore rien de ses turpitudes. Mais elle sait ce qu’elle veut et est prête à se servir de tous.
Le roman d’Octave Mirbeau, véritable entreprise de démolition lucide et sans concessions de la société de son temps, a fait scandale à sa parution, tout en connaissant un grand succès. Il y fait du bourgeois l’incarnation de la bassesse, de la mesquinerie satisfaite et de la misère affective et sexuelle. Mais la pourriture morale de la bourgeoisie corrompt aussi ces êtres déclassés que sont les domestiques. Le texte est drôle, noir, cynique et personne ne sort indemne de ce jeu de massacre.
La mise en scène de Nicolas Briançon se joue de la petitesse de la scène du Théâtre de la Huchette. Quand débute la pièce, Célestine, nue dans une baignoire, ne laisse voir que son visage et ses bras. Elle provoque les spectateurs en se drapant dans une serviette pour en sortir avant de revenir en chemise et jupon blancs. Toute l’insolence et la sensualité de cette femme, qui n’a pas froid aux yeux, éclate dès le début. La chambre de Célestine avec sa lampe à pétrole, son miroir sera le cadre de sa « confession » avant de devenir le café, où elle arrive, comme venant de l’extérieur, par la petite porte latérale du théâtre. Elle va y trôner derrière le comptoir enrubanné de tricolore. Toute une carrière !
En Lisa Martino, Célestine a trouvé l’interprète idéale. L’œil brillant, le sourire moqueur, feignant la docilité ou aguicheuse à l’occasion, elle se joue de ses maîtres. On la sent se moquant derrière son dos de cette patronne qui lui répète « Faîtes attention ma fille cela coûte très cher » ou de ce patron qui la convoite et dont elle n’ignore rien de la misère sexuelle. Elle passe de l’un à l’autre les faisant vivre au détour d’une phrase. Ironique, sensuelle, mais aussi inquiétante avec son attirance pour Joseph. Elle a bien compris sa monstruosité, elle sait, mais elle le suivra, silencieuse, consentante face à son antisémitisme et son antiparlementarisme virulents. Dans son ascension sociale rien ne l’arrêtera. Peut-être le plus beau seul(e) en scène de cette rentrée
Micheline Rousselet
À partir du 29 septembre au Théâtre de la Huchette, 23 rue de la Huchette, 75005 Paris – du mardi au samedi à 21h – Réservations : 01 43 26 38 99 ou www.theatre-huchette.com
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