Un extra-terrestre, voisin galactique débarque sur notre planète ou ce qu’il en reste. C’est que toute la Voie Lactée s’inquiète des désastres qui se produisent dans sa banlieue Terre. Telle une bête en colère, c’est toute notre galaxie qui pousse son grognement de désapprobation par la voix du Grand Admonestateur Biologiste. Cet Alien dérangeant pas méchant vient du futur pour nous avertir que nous risquons fort de ne plus en avoir… Ne manquant pas d’humour et encore moins d’ironie, la Voie Lactée énervée avance masquée et n’hésite pas à se travestir en les plus hideux des terriens. Kim Jong-un ou Donald Trump sont convoqués mais pour les faire parler à contre-emploi, un peu comme s’ils avaient subitement guéri de leur folie guerrière ou financière. Le premier fait un chantage à la bombe atomique pour la réunification des deux Corées alors que le second devient l’apôtre gouailleur de la redistribution des richesses… Mais cette santé retrouvée passe pour une maladie tant la maladie est la norme ! Il y a aussi le faux Fabien Barthez : peut-il seul dans ses cages, arrêter les coups-francs dévastateurs portés à la sixième extinction de masse ? Le match de la biodiversité semble truqué ; déjà perdu ? Il y a aussi entre autres incarnations de la voix de la Voie (lactée ou jactée), cette femme en colère qui nous harangue en vue de sauver la social-démocratie. De fait, l’anthropocène est surtout un capitalocène fatal alors l’alternative fait cruellement défaut (pour le moment). Enfin arrive la Girafe décontractée qui nous guide dans un théâtre participatif piégeant comme pour nous mettre devant notre banale docilité, notre « servitude volontaire » face à ceux qui tiennent le micro du pouvoir.
Le théâtre de Bonn Park, dramaturge allemand d’origine coréenne s’inscrit dans la talentueuse mouvance du Théâtre de l’Impossible pas du tout tueuse de talent. Sur une scène, tout est possible pour réveiller les consciences… Tout est possible à condition d’oser l’anticonformisme de l’écriture et de la mise en scène. Fort heureusement, Maïa Sandoz et Paul Moulin qui ont découvert cet auteur et sa pièce dans la traduction de Laurent Muhleisen grâce à la Maison Antoine Vitez qui promeut le théâtre étranger, ont parfaitement su donner sens et force par leur scénographie aux didascalies de l’auteur. Ils sont même allés le plus loin possible dans l’esprit subversif et l’ironie noire du texte. Le summum de l’audace éclate dans leur final qui nous offre une métaphore saisissante, troublante et pertinente de cette même extinction des espèces qui pourrait bien ne pas épargner la nôtre et avec elle celle des comédiens !
En attendant (pas) la catastrophe, la joyeuse troupe du Théâtre de l’Argument qui n’en manque pas artistiquement, nous livre un spectacle électrique et politique, explosif et réflexif, terrestre et burlesque de premier ordre. Matthieu Carle, Jeanne Godard, Angie Mercier, Fabien Rasplus, Quentin Rivet, Christelle Simonin, en alternance Marie Razafindrakoto ou Mélissa Zehner ne ménagent ni leurs efforts ni nos méninges pour donner au texte de Park l’énergie et l’audace dramatique qu’il réclame.
Ne manquez pas cette farce dystopique hallucinante mais nécessaire.
Jean-Pierre Haddad
Théâtre de la Tempête – Cartoucherie. Route du Champ-de-manœuvre, 75012, Paris. Du 03 au 23 juin 2023. Du mardi au samedi à 20h30, les dimanches à 16h30. Infos et réservations : 01 43 28 36 36 & https://la-tempete.notre-billetterie.fr/billets?spec=395 Tournée à venir.
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