Sylvain Creuzevault travaillait sur l’adaptation des Frères Karamazov, qui devait être présentée à l’Odéon en novembre 2020, quand est survenue l’épidémie de coronavirus. Brusquement la croyance dans la science comme solution à tous les problèmes s’est trouvée mise à mal avec le retour au-devant de la scène de la mort et de ses conséquences, la nécessité de limiter nos libertés. Sylvain Creuzevault a alors éprouvé le désir de travailler sur un chapitre du roman de Dostoïevski, Le grand Inquisiteur, qui fait écho à l’époque, car il y est question de la mort, de Dieu et de la liberté, et il l’a mis en abîme avec un texte de Heiner Müller, grand admirateur du romancier russe, extrait de Fautes d’impression publié en 1991.

Deux des Frères Karamazov, Ivan « l’intellectuel torturé » (interprété par Sylvain Creuzevault) et Aliocha, « le novice intranquille » discutent dans une auberge. Ivan se lance dans une parabole où Aliocha jouera le rôle du Christ « car il a la tête de l’emploi ! » Nous voici dans l’Espagne du XVIème siècle où sévit le grand inquisiteur Torquemada. Avec lui l’Église a décidé d’asservir les fidèles et Jésus, « celui qui dérange », est condamné. Le Grand Inquisiteur, accompagné par un pape goguenard (Vladislav Galard) violoncelliste et chanteur, semblant tout droit sorti du tableau de Velázquez revu par Francis Bacon, proclame que c’est seulement avec le glaive (qu’il sort d’une grande croix de procession) qu’on peut penser au bonheur de l’humanité. Il dit à Jésus « Nous avons corrigé ton œuvre par le miracle, le mystère et l’autorité et les hommes nous en ont été reconnaissants ».

Dans la seconde partie apparaissent les successeurs du Grand Inquisiteur, Trump, vulgaire, distribuant des chewing-gums et parlant un Anglais basique, accompagné de Margaret Thatcher. Ils seront rejoints par Staline en bottes et habit militaire blanc. Tous trois s’associeront dans une scène digne du pur grand-guignol pour exécuter Jésus dont l’éviscération remplacera la crucifixion. Dans la troisième partie intervient Heiner Müller qui s’interroge : que reste-t-il quand la religion s’effondre ? Quelles sont les alternatives, la science, l’art, le communisme ? Et là bien sûr Marx sort de sa tombe !

Les pistes se brouillent. Le plateau devient un joyeux chaos où le sérieux et la réflexion intellectuelle côtoient le burlesque et même le grand-guignol avec le trio des politiques se gavant de sang et de viscères. Pour le sérieux, le texte de Heiner Müller, dit de façon magnifique par Nicolas Bouchaud, capable même de s’afficher avec trois fois rien en Hitler. Pour le burlesque Sylvain Sounier en Staline chantant Rouge de Michel Sardou, Servane Ducorps plus trumpienne que Trump et Frédéric Noailles en Margaret Thatcher, petit sac à main accroché au bras. Sava Lolov est un grand inquisiteur inquiétant dont la leçon sera reprise par Trump, transformer les fidèles (ou les électeurs) en enfants joyeux car libérés de la responsabilité des décisions à prendre, d’autres les prendront pour eux ! A la fin Aliocha (Arthur Igual) reste bien seul… quoique !

Un théâtre intelligent, sérieux et drôle à la fois, porté par de superbes acteurs.
Micheline Rousselet (le 2 octobre 2020)

Cette création a été présentée jusqu’au 18 octobre à l’Odéon Théâtre de l’EuropePlace de l’Odéon, 75006 Paris Réservations : 01 44 85 40 40 – Reprise prévue à des dates qui seront précisées ultérieurement.
Un entretien avec le metteur en scène est toujours accessible en ligne :https://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2020-2021/spectacles-20-21/le-grand-inquisiteur-2020 [mise à jour 7/11/2020]

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