Feydeau n’était pas que l’auteur des cascades de quiproquos auxquelles on le réduit parfois. Plus misanthrope que platement misogyne, il se moque avec une ironie mordante des faiblesses humaines, cette humanité tiraillée par ses désirs sexuels qui la conduisent à une folie et à une bêtise qui touchent au grandiose.

Lucienne est suivie dans la rue par un homme qui s’introduit chez elle. Pontagnac, c’est son nom, est sûr de la séduire, mais elle est fidèle à son mari, Crépin Vatelin. Lorsque celui-ci paraît, il s’avère être une relation de Pontagnac. Les quiproquos commencent et vont aller crescendo entraînant le spectateur dans un tourbillon de folie. Lucienne a déjà un prétendant Rédillon, mais elle a décidé qu’elle serait fidèle sauf si son mari lui-même la trompait. La voici donc avec deux prétendants et un mari qui se pique de collectionner des tableaux, achetant des « Corot » qui ne cherchent même pas à cacher qu’ils sont des faux, puisqu’ils sont signés d’un autre nom ! Survient une Anglaise Maggy, avec qui Crépin Vatelin a eu une aventure à Londres et qui a tout révélé à son mari. Arrive donc le mari à la recherche de l’amant, mais aussi la femme de Pontagnac qu’il a prétendu malade et cloîtrée à Pau, et tout ce petit monde va se retrouver, plus quelques autres, tout aussi fous dans un hôtel de passe. À la fin, il y aura bien un dindon et celle qui s’en tire le mieux, c’est Lucienne, intelligente, ironique et déterminée.

C’est la troisième pièce de Feydeau qu’Aurélie Fattier, désormais directrice de la Comédie de Caen, met en scène. Elle a été formée en Belgique, où elle a eu une approche de Feydeau moins classique que celle que l’on a en France, plus libre en particulier vis-à-vis des problématiques sexuelles à l’œuvre dans son théâtre. Elle est fidèle au texte, à l’exception d’un petit ajout de D.H. Lawrence sur la syphilis, qui certes était omniprésente dans l’esprit des contemporains de Feydeau, mais rallonge ici inutilement la représentation. On goûte d’autant plus les mots d’esprit de Feydeau que la mise en scène nous emporte dans un tourbillon libre, foutraque et joyeux. Du décor bourgeois de l’appartement de Lucienne on passe à l’hôtel Ultimus avec son groom qui a des soucis de puberté et sa femme de chambre qui se déplace en déclenchant l’hilarité par sa façon de rouler chariot et hanches.

La metteuse en scène n’hésite pas à utiliser la vidéo, non comme c’est trop souvent le cas au théâtre aujourd’hui pour doubler les acteurs, que du coup le spectateur happé par l’écran oublie de regarder au plateau, mais de façon plus intelligente pour révéler le hors-champ. On voit ainsi ce qui se passe dans la salle de bain où s’est réfugiée Maggy et cela ajoute un effet trash à ce qui se passe dans la chambre à côté ! Quant à la sexualité, elle est omniprésente y compris dans ce phallus géant qui trône à la fin du spectacle. C’est elle qui pousse les personnages mus par une libido qui semble intarissable dans des situations cauchemardesques

Aurélie Fattier enfin a aussi décidé de brouiller les genres. Les comédiens et comédiennes jouent plusieurs rôles, des hommes jouent des femmes et il y a beaucoup de travestissements. Certains effets comiques en sont multipliés. La femme sourde, venue à Paris pour aller avec son mari à l’Opéra (!), porte une robe avec une traîne de trois ou quatre mètres, qui s’accroche partout et révèle ses fesses quand elle est abandonnée. Les comédiens et comédiennes sont tous excellents, capables de se travestir, de devenir homme ou femme, ce qui ajoute au trouble. On distingue particulièrement Vanessa Fonte qui incarne Lucienne. Bourgeoise chic au début, elle se transforme en furie quand elle soupçonne son mari et devient maîtresse dominatrice façon maison close à la fin pour se moquer de Pontagnac (Maxence Tual) qui lui a beaucoup perdu de sa superbe de dragueur sûr de lui. Geoffroy Rondeau incarne une Madame Pontagnac très différente de la petite personne maladive que son mari dépeignait et le Brésilien Ivandros Serodios est une Maggy burlesque et trash qui tranche avec le sérieux bourgeois de Vincent Lecuyer, son amant passager par ailleurs mari de Lucienne ! Dans ce monde interlope de la nuit, il y a même une chanteuse de jazz, la gérante de l’hôtel, Peggy Lee Cooper.

Dans ce Feydeau tout le monde en prend pour son grade. Les pulsions, le désir mènent les hommes et les femmes, tels des fous furieux, dans une course folle et aveugle. À la fin seule Lucienne intelligente et ironique a tiré son épingle du jeu et mène la danse en magnifique maîtresse dominatrice face à un Pontagnac qui n’en peut plus de frustration.

Un spectacle jubilatoire !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 30 novembre au Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis, 59 boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis – du lundi au vendredi à 19h30, samedi à 17h, dimanche à 15h, relâche le mardi – Réservations : 01 48 13 70 00 ou reservation@theatregerardphilipe.com – Tournée : 13 au 15 janvier au CDN d’Orléans, 20 au 24 janvier au Théâtre Gymnase les Bernardines à Marseille, 28 et 29 janvier à la Comédie de Valence, du 24 au 26 mars à la Comédie de Reims, d’autres dates à suivre.

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