Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts et ceux qui sont en mer. C’est par cette citation apocryphe d’un sage grec que s’ouvre l’odyssée de l’Aquarius écrite et mise en scène par Lucie Nicolas et le Collectif F71 qui réunit avec elle depuis 2004 Stéphanie Farison. Emmanuelle Lafon, Sara Louis et Lucie Valon. L’équipe de ce collectif s’interroge sur le réel, l’histoire et les luttes.

Du 8 au 17 juin 2018, l’Aquarius, navire de sauvetage en Méditerranée, affrété par SOS méditerranée et Médecins sans frontières avec 629 migrants sauvés en mer à bord est contraint d’errer en mer agitée à la recherche d’un port sûr où débarquer. Malte, l’Italie de Mattéo Salvini refuse d’accéder à sa demande, la France d’Emmanuel Macron fait l’autruche. Seule L’Espagne de Pedro Sanchez offre à l’Aquarius cet asile portuaire à Valence à plus de 1500 km de sa position.

Pendant une heure trente, les spectateurs vont vivre de l’intérieur cette aventure incroyable. Ils vont partager le quotidien de ceux à qui le droit maritime international et le code d’honneur des marins imposent de sauver toute personne en danger quelles que soient son origine ou les raisons de sa présence en mer mais aussi les témoignages de quelques-uns des naufragés sauvés de l’enfer de leurs parcours et de leur frêles embarcations et de ceux de journalistes embarqués.

Lucie Nicolas avec son équipe a recueilli les récits de ceux qui étaient à bord et en a fait un véritable oratorio, concert de paroles où se mêlent le théâtre, la musique et le son. Les comédiens, Lymia Vitte, Saabo Balde et Jonathan Heckel, sont sur tous les fronts et se démultiplient. Ils jouent le personnel de l’Aquarius (marins, médecins, infirmiers, sage-femme…, journalistes embarqués) mais aussi les migrants, les responsables politiques, les autorités portuaires. L’ambiance musicale et sonore créée et interprétée par le formidable Fred Costa et les lumières parfaitement maîtrisées de Laurence Magnée donnent au spectacle toute sa dimension à la fois poétique et tragique. Rien de didactique, rien de larmoyant, pas de réalisme. La scénographie particulièrement impressionnante d’inventivité suggère avec une grande efficacité l’ambiance qui règne en mer, dans le bateau et les échanges avec les différentes autorités. L’utilisation des micros comme éléments de décor installés en cercle dessine le navire. Mais rassemblés en petits cercles, ils figurent les interventions des politiques. Les sons, les lumières, les éléments techniques, manipulés par les interprètes, structurent et font évoluer l’espace et laissent libre l’imagination des spectateurs. Ceux-ci sont d’ailleurs partie prenante de l’aventure. Avant même l’entrée dans la salle de spectacle, les comédiens s’adressent à eux pour qu’ils se chargent d’un certain nombre de colis et matériel. Dans la salle, on leur rappelle les mesures de sécurité sur le bateau, ils deviennent les migrants embarqués sur l’Aquarius dont le sort est entre les mains des autorités politiques.

Ce sont elles qui décident du sort de ces migrants de la haute mer qui ont pu échapper à l’enfer grâce à l’engagement des marins de l’Aquarius. Jusqu’au bout ceux-ci luttent contre le désespoir et l’impuissance qui nous gagnent et font rempart contre l’hypocrisie et la lâcheté de la plupart des décideurs européens tétanisés par l’ascension de l’extrême droite qu’ils contribuent à faire progresser en singeant leurs discours comme le soulignent leurs prises de paroles au cours de cette odyssée.

Le 18 juin 2018, après avoir sauvé des dizaines de milliers de personnes, l’Aquarius, véritable bouée de sauvetage pour migrants rescapés en danger à la peau brûlée et assoiffés, cessera ses activités. Malte lui interdit ses eaux territoriales et Gibraltar lui enjoint de cesser de pratiquer le sauvetage en mer sous peine de lui retirer son pavillon.

Il faut absolument faire ce dernier voyage avec l’Aquarius pour se dire que l’indifférence n’est pas une fatalité et que l’engagement reste nécessaire pour sauver ce qui reste de notre humanité.

Frédérique Moujart

Du 15 au 22 novembre (mardi, mercredi, jeudi à 19h30 et vendredi 22 à 14h30) – MC 93, 9 bd Lénine, Bobigny 93 – Réservations : 01 41 60 72 72 ou reservation@mc93.com

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