Le rideau se lève sur Stéphane Varupenne chantant, en s’accompagnant à la guitare, My lady d’Arbanville, le tube des années 70 de Cat Stevens. Il est le narrateur, Marcel, rêvant à celle qui incarne le mieux pour lui cette noblesse qu’il aspire à fréquenter, Oriane de Guermantes. La scène suivante entre Marcel et la servante Françoise pointe avec drôlerie le comique de Proust que l’on néglige trop souvent.

Christophe Honoré signe là « non pas une adaptation mais une évocation ». Il fait apparaître les personnages de Marcel, Oriane et son mari, Saint Loup et sa maîtresse Rachel, le Baron de Charlus, Swann, qui tournent dans les soirées mondaines de cette aristocratie des années 1900. Sous nos yeux défile ce monde de l’entre-soi, où s’étalent frivolité, médisances et mépris de classe… Où l’on rivalise de traits d’esprit. Un perchman muni d’un micro les suit, car dans ce monde on est toujours en représentation. On voit aussi les passions amoureuses. Ouvertes comme celle de Saint-Loup pour Rachel. Ou masquées par l’amitié, que seules révèlent des postures (Saint-Loup et Marcel dans le camp de Nocières).

La mort s’invite aussi avec gravité dans ce monde futile. On assiste à l’agonie et à la mort de la grand-mère de Marcel en vidéo. La mort annoncée de Swann fait ressortir la frivolité de ce monde.

Enfin s’expriment les thèmes politiques : l’antisémitisme très majoritaire de ce milieu où l’affaire Dreyfus occupe beaucoup les conversations.

La très belle idée de Christophe Honoré a été d’ouvrir l’arrière de la scène sur les jardins des Champs Élysées. On entend au loin le murmure de la ville et celui des jets d’eau. On est chez les Guermantes et on est aujourd’hui. Il y a un tourne-disque et l’atmosphère respire les années 1970, soulignant ce qu’il y a d’éternel dans l’univers proustien. On ne sortira de la demeure des Guermantes que pour aller dans le camp de Nocières, évoqué par de simples drapeaux et des militaires assis autour d’un brasero. Ou pour aller dans le salon de Rachel, l’ancienne prostituée devenue actrice et maîtresse de Saint Loup.

La complexité des personnages du roman est admirablement servie par une distribution exceptionnelle. Laurent Lafitte est le Duc de Guermantes, ce parvenu imbécile, en dépit de ses quartiers de noblesse. Sébastien Pouderoux, qui chante et joue aussi de la guitare, est Saint-Loup, si faible avec sa maîtresse (Rebecca Marder qui joue avec lui comme une chatte avec une souris) et si cruel et méchant avec sa mère (Anne Kessler désemparée par la dureté de son fils). Serge Bagdassarian se déchaîne dans le numéro de diva du Baron Charlus, malmenant ce pauvre Marcel qui ne sait pas reconnaître une bergère Louis XVI.

Stéphane Varupenne, observateur toujours présent et attentif, donne beaucoup de finesse au personnage du narrateur. Elsa Lepoivre est extraordinaire dans le personnage d’Oriane, sorte de Célimène cruelle, snob et superficielle, qui trouve grâce aux yeux de tous par son esprit. Elle lui donne le soupçon d’humanité qui convient dans la scène finale avec son ami Swann.

Christophe Honoré disait « C’est en offrant à ce texte des reflets d’aujourd’hui que nous lui serons le plus fidèle ». Le pari est parfaitement réussi !
Micheline Rousselet (6 octobre 2020)

Programmation initiale à la Comédie Française du 30 septembre au 15 novembre. Suivre la reprise éventuelle de cette programmation après le confinement sur le  site www.comédie-française.fr.

Sur le site de la Comédie Française…

Chaque samedi soir de confinement, diffusion en vidéo d’une création de la Comédie Française, ou d’extraits, répétitions… Et chaque lundi à 19h en direct un entretien d’une heure avec des artistes. Ils s’expriment sur le métier d’acteur, la création théâtrale, l’importance du travail collectif… Le ressenti avant et pendant la crise sanitaire, et les spécificités de la Comédie Française ! Ces entretiens ont débuté le 29 septembre avec la participation d’Eric Ruf sous le titre ‘’Quelle comédie ! ». Ils sont accessibles en permanence. Egalement à découvrir de belles captations et montages de spectacles réalisés avec les artistes de la Comédie Française.
[mise à jour Ph. Laville, 8/11/2020]

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