Dans la belle demeure au cœur de la forêt de Monsieur et Madame Carnesino, le rideau se lève pour laisser paraître une table dressée avec son argenterie et ses cristaux qui étincellent à la lumière des chandeliers. Mais Monsieur Carnesino, toujours affamé, et Madame Carnesino, une rousse flamboyante et rugissante armée d’un long fume-cigarette, ont un souci. Leur fils Prince est atteint de mélancolie et ils craignent qu’il ne contamine sa sœur Secondine. Ils ont donc invité le Docteur Basilio, qui a inventé un remède à la mélancolie sur lequel on fonde de grands espoirs, la guérison par les contes, les épopées musicales et les poèmes fantaisistes.
Omar Porras, avec sa compagnie le Théâtre Malandro, a choisi d’adapter le texte d’un auteur napolitain du XVIIème siècle Giambattista Basile, écrit en dialecte napolitain. Ce conte des contes écrit dans une langue populaire riche en métaphores et hyperboles, alliant réalisme et féerie, passant du tragique au comique et au burlesque, de la virtuosité du langage amoureux au grotesque et au scatologique, ne pouvait que séduire Omar Porras, Colombien d’origine, formé auprès d’Ariane Mnouchkine et de Peter Brook après son arrivée à Paris.
Il était une fois, il était deux fois, il était trois fois et nous voilà embarqués dans un périple où le loufoque côtoie le flamboyant. On passe du grand-guignol (les tripes de louve servies au repas familial) au merveilleux avec le lapin Velázquez (attendez-vous à bien rire quand vous saurez pourquoi il se nomme ainsi). Les contes sont revisités avec une ironie et une fantaisie iconoclastes. Le Prince ne réveille pas La Belle au bois dormant par un baiser. Il la viole … avant d’être puni ! La princesse n’arrive à échapper à son père incestueux qu’en se coupant les mains ! Quant à Cendrillon, elle se démultiplie pour fusionner avec le conte des Trois oranges à la recherche de la femme parfaite.
C’est un délicieux retour aux sources du théâtre populaire que nous offre Omar Porras à travers le goût du baroque et de la magie, des situations extrêmes où tout devient possible, où le spectateur rit ou s’inquiète, s’égare dans le sanguinolent avant de vagabonder dans l’érotique ou le merveilleux du cabaret.
Les comédiens et comédiennes, dans leurs costumes délirants, sont excellents avec une mention spéciale pour Philippe Gouin en Docteur Basilio, passeur d’histoire en costume de soirée qui se transforme en meneur de revue éblouissant. La mère (Jeanne Pasquier), séduisante vamp rousse, la bonne sexy (Marie-Evane Schallenberger), la petite sœur grognonne Secondine (Audrey Saad) se transforment en girls emplumées dansant et chantant accompagnées par le cuisinier inquiétant, toujours le couteau à la main (Melvin Coppalle), le père au visage de loup ( Cyril Romoli) et le Prince nigaud (Simon Bonvin).
Omar Porras nous ramène dans le monde de l’enfance, celui des contes avec son lot d’inattendu et de merveilleux, mais sublimés par la vision baroque, cruelle, érotique et follement drôle de Giambattista Basile. Un délice !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 1er juin au Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, 92022 Nanterre – mardi, mercredi à 19h30, jeudi et vendredi 20h30, samedi 18h, dimanche 15h – Réservations : 01 46 14 70 00 ou sur nanterre-amandiers.com
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