Le livre de Vanessa Springora, paru en 2020, a tout de suite marqué les esprits d’abord parce qu’il révélait l’emprise que peut exercer un homme, écrivain reconnu de cinquante ans, qu’elle appelle G, sur une jeune adolescente de treize ou quatorze ans. Mais surtout par ce qu’il révélait de la complicité de la société toute entière à l’égard d’un homme, Gabriel Matzneff, dont les écrits ne cachaient pas grand chose de sa pédophilie. Avec un père aux abonnés absents, une mère aveuglée par la célébrité de l’écrivain et celle des critiques qui l’encensaient, Cioran qui lui dit qu’elle doit être au service « du grand homme » (!) et une police, intimidée par la notoriété et l’assurance de l’écrivain, il n’y eut pas grand monde pour protéger l’adolescente naïve et amoureuse de cet homme. Personne ne semble s’inquiéter qu’elle sèche ses cours ou qu’elle s’installe à l’hôtel avec lui. Quand à seize ans elle réussit à le quitter, elle n’en est pas quitte pour autant. Il l’a coupée des amis de son âge, s’est servi d’elle, l’a trahie et lui a sans cesse menti. Mais on ne se débarrasse pas si facilement de son premier amour, surtout quand il se présente comme un artiste charmant et transgressif. Elle traîne une réputation détruite, s’abîme dans la dépression, la drogue, mettra du temps à se reconstruire, jusqu’au jour où, refusant de rester une « victime consentante » elle décide « de prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre ».

Vanessa Springora ne s’arrête pas à l’histoire d’une adolescente flouée par un prédateur. Ce qu’elle montre c’est que la loi censée nous protéger ne s’applique pas à tous de la même façon, qu’il y a des gens qui ont toutes les cartes en main pour en profiter et que cela implique forcément que les plus faibles eux subissent et souffrent. C’est probablement aussi cela qui a séduit le metteur en scène Sébastien Davis et Ludivine Sagnier, tous deux engagés dans l’École Kourtrajmé de Montfermeil, créée par le metteur en scène de cinéma, Ladj Ly, pour « donner leur chance à ceux qui n’en ont pas eue ».

Sébastien Davis a placé un écran de papier calque en fond de scène. L’actrice se devine derrière, nue, floutée, comme hors de son corps, traduisant l’impression d’irréalité, de fausseté dont parle Vanessa Springora. Quand habillée d’un jogging et d’un tee-shirt, l’actrice vient à l’avant de la scène, elle entre dans le monde réel, avec un lit, un bureau et une chaise, le décor de la chambre de l’adolescente, de la chambre d’hôtel de l’écrivain ou de la chambre de la femme qu’est aujourd’hui Vanessa. Ludivine Sagnier qui a commencé à travailler très jeune pour le cinéma et dont on pressent que son image de femme-enfant a dû attirer un certain nombre de prédateurs protégés par leur notoriété, porte les mots de Vanessa Springora avec une sincérité, une force, parfois une indignation froide ou une ironie mordante, qui bousculent les spectateurs. Le batteur Pierre Belleville installé dans un coin de la scène porte une partition écrite par le compositeur Dan Levy. Il exprime la violence qui habite Ludivine/Vanessa, dialogue avec elle et accompagne son combat pour arriver à raconter son histoire.

Il a fallu à Vanessa Springora du courage et de l’énergie pour raconter son histoire et oser s’attaquer aux lâchetés et aux compromissions de notre société du spectacle. En se mettant au service de son récit Ludivine Sagnier emporte le public par sa sensibilité et son énergie. Elle est magnifique !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 30 novembre au Théâtre de la Ville-Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, 75008 Paris – à 20h, relâche le dimanche 27 – Réservations : 01 42 74 22 77 ou theatredelaville-paris.com – Tournée : 13 au 15 décembre au Théâtre Château Rouge d’Annemasse, 4 au 7 janvier au Théâtre de la Croix-Rousse de Lyon

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