Peut-on rendre hommage par la caricature ? Admirer dans l’outrance ? L’exercice relèverait à coup sûr de la gageure, d’un art d’équilibriste ! Le chevreuil et Dalida de et avec Clémence Caillouel nous offre la possibilité de faire l’expérience vivante de la beauté, de l’intérêt et du vertige d’une telle réalisation. Soutenue par la mise en scène de Jessica Walker et la création lumières de Xavier Duthu, la performeuse et clowne qui vit et travaille entre Barcelone et Berlin en passant par la Normandie, relève le défi. Elle réussit une sorte d’exploit théâtral où tous les registres de genres y compris les plus opposés sont convoqués, tenus ensemble et agencés de sorte à rendre unique ce spectacle, bien plus qu’une performance, une exubérance, une fulgurance, une extravagance. Une opérette baroque sur le malheur d’une diva solitaire et mélancolique cernée par les suicides et les deuils. Deuil rime avec chevreuil. Le buste du chevreuil avec lequel Dalida dialogue parfois est tout simplement une vanité. La fantaisie étant de lui donner l’apparence non d’un crâne mais d’une tête d’animal empaillée. Le chevreuil est cet animal singulier qui, vivant en des forêts qui nous sont familières et proches n’en reste pas moins sauvage et injustement chassé. Si la chasse était pour Blaise PASCAL (1623-1662) la métaphore du divertissement des puissants par lequel ils évitaient de « rester seuls dans leur chambre » à méditer sur notre condition de mortels, ici la mort ne peut être fuie, elle trône au mur !

Mais n’allez pas croire que le spectacle est macabre ou morbide car il est tout autant gai et drôle ! Clémence Caillouel combine à merveille le tragique avec le comique. Par elle, l’émotion poignante peut surgir de la farce burlesque, le raffiné s’accoquine avec l’apparence du vulgaire. La tendresse s’habille de grotesque. La sensualité de la voix se marie étonnamment avec l’outrance du maquillage. Les extraits de chansons que l’on a si envie de fredonner sortent d’une bouche redessinée par un large rouge à lèvres de clown triste. Les battements de cils bleu turquoise proéminents nous font palpiter et sourire. La comédienne envahit l’espace d’une présence physique et métaphysique. La sombre légende de la chanteuse regrettée du public est évoquée avec humour et dans la couleur. Le chevreuil et Dalida qu’on pourrait rebaptiser le Dalideuil est un spectacle admirablement baroque ! Expressionniste et surréaliste, enchanteur et dérangeant.  

Le texte est lui aussi bigarré, sorte de patchwork fait d’une écriture au plateau, d’extraits d’entretiens donnés par la chanteuse, de citations du Candide de Voltaire ou d’un écrivain libertaire suédois inconnu, Stig Dagerman (1923-1954) : « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. » Est-ce la raison pour laquelle nous craquons encore une fois à l’évocation de la divine et malheureuse Dalida que le système du showbiz aurait tant voulu empailler vivante.

Ce spectacle est une bouffonnerie pathétique mais au sens vrai de cet adjectif « qui est fait de passions »… Une parodie ? Sans doute, mais pour rendre hommage en évitant toute indécence. Sous son sourire rayonnant, Dalida avait le sens de la profondeur mais aussi du deuxième degré. « Rappelez-vous que j’m’appelle… La, la, la … Ça vous fait rire… La, la, la… Rappelez-vous que j’m’appelle Amnésie. » (Je m’appelle amnésie, 1981). Celle qui chantait avec autant d’ironie aurait certainement aimé ce portrait au chevreuil.

Mille bravo à Clémence Caillouel pour son interprétation performative d’un personnage en quête de lui-même naviguant entre deux phrases ou phares : « Mon rêve a toujours été de devenir quelqu’un. » et « Une chose est sûre, je ne veux pas qu’on me vole ma mort.»

Jean-Pierre Haddad

Avignon, Festival Off, à Artéphile, 7 rue du Bourg Neuf. Du 7 au 26 juillet, à 11h55. Relâche les 13 et 20 juillet. Réservation : 04 90 03 01 90 et https://www.vostickets.net/billet?ID=ARTEPHILE&SPC=13757

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