Au début des années 2000, la comédienne Florence Hebbelynck remarque dans sa rue une prostituée de 67 ans, élégante, toujours vêtue d’un manteau rouge. Elle côtoie Cathy et un jour celle-ci lui raconte sa vie et lui permet de l’enregistrer. L’actrice déménage mais en 2018 elle retrouve l’enregistrement, envisage d’en faire un spectacle et veut retrouver Cathy. Mais Pigalle a changé et Cathy a disparu. La comédienne va donc partir à la recherche de ceux qui l’ont connue, à commencer par son propre fils, encore enfant quand ils habitaient rue Pigalle et qu’il avait baptisé cette prostituée « le Petit Chaperon Rouge », mais aussi un journaliste de France Culture qui l’avait interviewée, une femme qui travaillait pour une association d’aide aux prostituées, le concierge de son immeuble et enfin sa légataire, sa nièce, qui l’encouragea à faire ce spectacle.
La prostitution en fascine certains, des hommes surtout, mais ce n’est pas cela qui a intéressé Florence Hebbelynck. Cathy l’a touchée parce qu’elle l’amenait à s’interroger sur son rapport à la féminité, au désir masculin et sur le parallèle avec le métier de comédienne qu’avait osé son fils. L’auteure n’a pas voulu faire une enquête sociologique même si Cathy au départ correspond bien aux stéréotypes de la profession : abandonnée avec son frère à quatre ans, ballottée de nourrice en nourrice, puis barmaid chez un tuteur qui abuse d’elle à 17 ans. Mais par la suite, elle s’est battue pour rester libre. Elle n’a jamais eu de proxénète, elle a refusé d’être une victime, elle a utilisé l’argent et l’affection des hommes. Elle a eu de l’argent, beaucoup, des bijoux, une voiture de sport, et même « un bar à filles ». Comme le dit son fils, elle était libre financièrement mais l’était-elle « moralement » ?
Le point de départ est donc la parole de Cathy que l’on entendra plusieurs fois dans des extraits de l’enregistrement qu’avait réalisé Florence Hebbelynck. La photo de Cathy traîne au sol où le metteur en scène a placé de nombreux petits tabourets de plastique sur lesquels monte parfois l’actrice. Florence Hebbelynck raconte la vie de Cathy et interroge ceux qui l’ont côtoyée. Nicolas Luçon incarne ces personnages, parfois drôle comme lorsqu’il fait sentir la légère gêne du fils face aux questions de sa mère, parfois surprenant quand il est la femme qui vient en aide aux prostituées dans la rue, émouvant enfin en nièce de Cathy.
Loin des clichés l’actrice ne dresse pas un mausolée à la mémoire d’une prostituée, elle fait le portrait d’une femme qui, avec ses atouts, sa beauté et son élégance, s’est battue pour vivre. Elle adaptait un peu son récit en fonction de son interlocuteur pour préserver ses secrets. Même si elle n’a pas toujours réussi à échapper à la violence des hommes et de la société, elle a défendu sa liberté et le portrait qu’en fait l’actrice est très émouvant.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 1er novembre à La Manufacture des Abbesses – 7 rue Véron, 75018 Paris – les dimanches à 20h, les lundis et mardis à 21h – Réservations:01 42 33 42 03 / manufacturedesabbesses.com
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